mercoledì 26 novembre 2014

Marcel Duchamp. Le Grand Verre ou Voyage au Pays de la Quatrième Dimension



Marcel Duchamp. Le Grand Verre ou Voyage au Pays de la Quatrième Dimension



Introduction à la Quatrième dimension



‘La Quatrième’, comme on appelait communément la quatrième dimension parmi les artistes d'avant-garde du premier XXème siècle, ne s'agit pas d'une invention de notre époque, actuelle.

Dans une perspective transcendante et spirituelle, il est déjà dans le XVIIème siècle qu'on a eu une première formulation concernant l'existence d'une dimension « autre » et non-sensoriel, voisine et communicante avec notre monde tridimensionnel, mais à propos d'un univers tout a fait bien séparée et bien liste.

On peut trouver cette première « extravagante » conception dans certains écrits du philosophe néo-platonique anglais Henri Moore (1614-1687), qui définit « essential spissitude » une qualité et quantité qu’il croyait présent en chaque substance vivante, mais pas perceptible aux sens à cause d'une appartenance a une autre dimension, une dimension spatiale, physiquement et géométriquement, contiguë à notre monde sensible mais de celui-ci bien liste et considéré siège, au-delà que de l'âme des morts, d'entités spirituelles et éthérées et d'autres entités incorporelles, compréhensivement des idées platoniques.

Le premier entre les philosophes qui cultivèrent sérieusement l'idée d'espaces pluridimensionnelles, cependant, fut Immanuel Kant. En 1766, en les intéressant tout d'abord à l'œuvre Arcana Coelestia du visionnaire suédois Emanuel Swedenborg - que dans ces ans allait remporter grand succès en affirmant d'être lui même en contact avec des esprits surnaturels - Kant joignit à la conclusion que, au-delà du monde physique, il y en a une métaphysique, de type spirituel : un monde « séparé » mais, en même temps, inhérent à l'autre [1]. Affronter l'inconnu, en effet, pour Kant signifiait transcender le monde quotidien - quand l'intuition s'oppose et se dirige au-delà de la réalité - et il découvre « l'autre » dans une dimension « autre ».

Toutefois, il sera seulement dans la première moitié du XIXème siècle qu'on aura les premières manifestations de la pensée mathématique orientées à donner crédibilité scientifique à cette « nouvelle dimension ». Avec la critique radicale au dogmatique cinquième axiome euclidien [2] par quelques célèbres mathématiciens européens comme l'hongrois Jànos Bolyai, le russe Nikolai Lobachevsky et l'allemand Carl F. Gauss, on voit la naissance, la construction scientifique et la représentation des nouveaux mondes-univers imaginaires - pas moins vraisemblables que de cet euclidien [3] - dont l'apogée sera atteinte quelque an après avec les soi-disant « surfaces de Riemann » de l'allemand mathématique Georg Friedrich B. Riemann (1826 -1866).

Cinquante ans plus tard, enfin, avec ce qu'Albert Einstein appelera Denkexperiment (thought experiment), cet à dire « expérience mental » ou expérience projetée et exécutée seulement au niveau imaginatif  [4], on arrive, effectivement, à la théorisation scientifique de « la quatrième ».

Voilà donc que le « casse-tête » de la quatrième dimension, que trouvera intérêts plus spécifique seul au début du dernier siècle, il pourrait se relier au paradigme d'une nouvelle conception spatiale, conséquence soit de l'effondrement des postulats d’Euclide soit des rapports qui la pensée philosophique et l'art d'avant-garde de ces ans commencent à entretenir avec les dernières découvertes de la science et le passage conceptuel de l'intemporel monde tridimensionnel des surfaces planes au l'espace-temps (qui devient 'cintré') einsteinien. Tout ça bouleversera profondément les fondations du monde entier du savoir, art compris. 

En effet, l’ample littérature scientifique de la fin du XIXème siècle et du premier '900 sur la quatrième dimension par les éminents mathématiciens anglais Edwin A. Abbott et Howard E. Hinton, par les français Henri Poincaré, Esprit Jouffret et Gaston de Pawlowski et par le russe Piotr D. Ouspensky ne tardera pas à pénétrer, avec une série de médiations inévitables, même dans les milieux artistiques plus avancés. Cubisme et Futurisme, donc, mais personnalités uniques comme le russe Kazimir Malevich même seront influencés, de mesure différente, par la « poétique de la quatrième dimension ». Mais celui-ci, entre tous, qu'il aura une orientation presque exclusive et unique vers les problèmes de « la quatrième » sera Marcel Duchamp.

Parmi les premier à clarifier le dû contracté par la recherche artistique d'avant-garde avec les nouvelles acquisitions scientifiques, il fut le poète et anobli critique d'art Guillaume Apollinaire, déjà camarade et guide d'un jeune Marcel Duchamp. Dans l'œuvre Les peintres cubistes de 1913, en effet, Apollinaire écrivait : « Or, aujourd’hui, les savants ne s’en tiennent plus aux trois dimensions de la géométrie euclidienne.  Les peintres ont été amenés naturellement et, pour ainsi dire, par intuition, à se préoccuper de nouvelles mesures possibles de l’étendue que dans le langage des ateliers modernes on désignait toutes ensemble et brièvement par le terme de quatrième dimension » [5]. Tout de suite après, cependant, Apollinaire s'aventure dans une définition personnelle de celle-là qui est considérée une « dimension supérieure », sans faute cohérent s'il vise dans une optique créatif et esthétique, mais, évidemment, plutôt « élargi » et « fantastique » dessous l'aspect scientifique : « Telle qu’elle s’offre à l’esprit, du point de vue plastique, la quatrième dimension serait engendrée par les trois mesures connues : elle figure l'immensité de l’espace s’éternisant dans toutes les directions à un moment déterminé. Elle est l’espace même, la dimension de l'infini ; c’est celle qui doue la plasticité des objets » [6].

Mais bien au-delà des implications scientifiques, la révolutionnaire « dimension imaginaire » [7] avait eu le mérite, surtout selon Duchamp et les mouvements intentionnés à se débarrasser de la conception spatiale encombrante de la tradition, d'indiquer les voies les plus brèves (« géodésiques » on dirait aujourd'hui) [8], à parcourir pour en dépasser la limitant et asphyxiée dissimulation tridimensionnelle relative à une perspective propre de la Renaissance.

Le mouvement Dada, d'autre part, montrait aussi bien ces objectifs : « Dada fut très utile comme purgatif - déclarera Duchamp à James Johnson Sweeney dans une interview de 1946 - et je crois avoir éprouvé le désir de me purger moi-même […]. Personne ne pensait qu'il put y avoir quelque chose au-delà de l'acte physique de la peinture. On n'enseignait aucune notion de liberté, aucune perspective philosophique. Naturellement, les Cubistes étaient fertiles en inventions à ce moment-là. Ils avaient assez de chats à fouetter pour ne pas s’inquiéter de perspective philosophique ; et le Cubisme m'a donné beaucoup d'idées relatives à la décomposition des formes. Mais je pensais à l'art sur une autre échelle. On discutait ferme à l'époque de la quatrième dimension et de la géométrie non-euclidienne. Mais la plupart des gens considéraient ces problèmes en amateurs. Metzinger s'y intéressait particulièrement. Et, en dépit de tous nos malentendus ces idées nouvelles nous aidèrent à prendre nos distances à l’égard des banales habitudes de penser - des platitudes de café et de studio »  [9].

Dans un article de Jean Metzinger [10] de 1911 ce renversement est très bien précisé: « Les peintres cubistes ont déraciné le préjugé qui commandait au peintre de se tenir immobile, à une distance déterminée devant l’objet et de n’en fixer sur la toile qu’une photographie rétinienne et plus ou moins modifiée par le sentiment personnel [...]. Les peintres cubistes se sont permis de tourner autour de l'objet pour en donner, sous le contrôle de l'intelligence, une représentation concrète faite de plusieurs aspects successifs » [11]. Dans le même article, en suite, est soulignée l'importance assumée par l’élément temporal dans l'œuvre d'art cubiste : « Avant d'aujourd'hui une peinture maîtrisait seulement l’espace, aujourd'hui il vit dans le temps aussi [...]. Peintres modernes conscients du miracle qui s'accomplit quand la surface de la toile suscite l'espace dès que la ligne menace de prendre une importance descriptive, décorative, ils la brisent. Éléments de lumière et ombre distribuées de manière telle qui les uns engendrent les autres justifient ces ruptures en termes plastiques ; l'harmonisation des ruptures crée le rythme » [12].

Les nombreux équivoques qui se sont levés autour de celles-ci et d'autres affirmations des cubistes erronément unis à la théorie de la relativité d'Einstein, ont été bien trouvé le point dans l'important volume The Fourth Dimension and Pas-Euclidean Geometry en Modern Art (1983) du critique d'art américaine Linda Dalrymple Henderson: « La faute des historiens de l'art qui se sont occupés de cubisme et théorie de la relativité a été cette de retrouver dans la littérature cubiste de 1911 et de 1912 l'équivalent du développement en physique d'un continuum spatio-temporel non-euclidien qu'il ne fut pas complété pas avant de 1915 ou 1916. L'absence du terme ‘quatrième dimension’ de la théorie de la relativité jusqu'à le 1908 et l'absence d'une géométrie non-euclidienne jusqu'à à propos du 1916, ils font supposer qu'une influence possible de la théorie de la relativité sur le cubisme soit vivement discutable » [13].

En effets, la confusion naquit à cause de la coexistence de deux idées, l'une géométrique et l'autre physicienne, tout à fait complètement différent en matière de quatrième dimension. Et c'est le premier, et il ne pouvait pas être autrement, à faire au pont par seconde, en constatant la possibilité de visualiser géométriquement la dimension supérieure déjà dans les tentatives on pourrait dire de 'science fiction'  présents en Flatland : Au Romance of Many Dimensions, conte satirique anonyme publié en 1882 du pédagogue anglais Edwin A. Abbott, que eu le pouvoir de faire beaucoup de bruit à l'époque, même dans le monde académique-scientifique. En restant donc dans le domaine « science-fictionnesque » Abbott, dans le dialogue serré et visionnaire entre le Carré et la Sphère, arrivera à écrire : « Voyez la confirmation infaillible de la Série 2, 4, 8, 16: n’est-ce point là une Progression Géométrique ? Et tout cela n’est-il point - si je puis me permettre de reprendre les propres termes de Monseigneur - ‘ strictement conforme aux lois de l’Analogie ’ ? En outre, Monseigneur ne m’a-t-il pas appris que si, dans une Ligne, il y a deux points frontière, et dans un Carré quatre Lignes frontière, il doit également y avoir dans un Cube six Carrés frontière ? Voyez là encore la confirmation de la série 2, 4, 6 ; n’est-ce point là une Progression Arithmétique ? Et, par conséquent, est-ce qu’il ne s’ensuit pas obligatoirement que le rejeton plus divin encore du divin Cube issu du Pays des Quatre Dimensions doit avoir 8 Cubes frontière. Et cela aussi n’est-il pas, comme Monseigneur me l’a appris à croire, ‘strictement conforme à l’Analogie’ ? » [14].

Mais puisque de la configuration des trois dimensions spatiales du Spaceland le Carré peut voir de manière inusuelle les objets, de la quatrième dimension en là-haut, grâce à l'analogie et au 'place-pensée' du Toughtlandie, il sera possible de voir l'intérieur aussi bien de tout solide: « Parvenus dans cette région bénie des Quatre Dimensions, hésiterons-nous au seuil de la Cinquième, sans oser y entrer ? Ah, non. Décidons plutôt que notre ambition s’élèvera encore à mesure de notre ascension corporelle. Alors, cédant à notre as-saut intellectuel, les portes de la Sixième Dimension s’ouvriront toutes grandes ; puis ce sera au tour de la Septième, de la Huitième… »  [15].

Il est évident comme dans le texte d'Abbott il y aie, au-delà d'une critique aigue addressée contre l' arrogance de la société victorienne, une intention finement pédagogique, c'est-à-dire une invitation à dépasser la conception cartésienne on disant 'limitée' de l'espace (les deux-dimensionnalité du Carré) et de la pensée positiviste, pour joindre aux conceptions qu'ils portent à considérer dimensions et articulations spatiales bien plus complexes et organiques, comme, par exemple, celle de la Sphère et ensuite stimuler la pensée jusqu'aux formes d'élaboration les plus riches et illimitées. Le protagoniste, le Carré, du récit, en effet, après avoir connu la troisième dimension en rencontrant la Sphère, il théorise la possibilité de connaître autres dimensions (et ici l'allusion aux surfaces de Riemann ce n'est pas casuel), avec l'intention spécifique d'élever de telle manière le propre esprit au-delà des propres sens. Avec les premiers résultats de la théorie de la relativité d'Einstein (1905), enfin, le texte d'Abbott aura des répercussions vraiment inattendues.

Nouvelles plus précises sur la quatrième dimension commencent déjà entre temps à circuler chez les  français à partir de 1910. Entre le 1911 et le 1912 Gaston de Pawlowski, directeur de " Comœdia ", le plus important quotidien parisien littéraire et artistique de la période, publique aux épisodes les chapitres de ce qui serait devenu un classique de la 'science-fiction' française de début du siècle : Voyage au pays de la quatrième dimension [16].

Le sujet de la « quatrième » devient ainsi de domaine publique et pas seulement de domaine scientifique. Aussi Duchamp, entre les autres, il s'intéresse à cette nouvelle dimension où le temps et l'espace sont maintenant unifiées. Mais ces nouvelles théories scientifiques constituent une véritable révolution mentale pour la société du XXème siècle, parce que la théorie de la relativité, avec la théorie des quanta et la géométrie non-euclidienne, élargissent maintenant les horizons de la science et de la pensée, en mettant en véritable crise les vieilles et obsolètes certitudes positivistes. En effet, les nouveaux coordonnées espace-temps agrandissent non seulement les connaissances de la physique, mais, matière encore plus important, elles ont la force de produire des profondes transformations mentales, culturelles et psychologiques en toute la société.

D'autre part, Albert Einstein dans sa recherche se rend parfaitement compte qu'à la base de la nouvelle notion d'espace-temps est unie nécessairement celle de la simultanéité. Le virage bruyant einsteinienne, fondé sur le principe de relativité, accueille donc en soi tous les phénomènes physiques, mais surtout il indique une nouvelle manière d'observer la réalité, celle qui de la spatialité tridimensionnelle invite à regarder à celle-là de 'la quatrième', plus organique et complète (un regard holistique, on dirait aujourd'hui, c'est-à-dire qu'il s'adresse au « système » qui est sous-tendu au phénomène observé.





Marcel Duchamp et la Quatrième Dimension



Dans l'entretien avec Pierre Cabanne en 1967, Duchamp s’approche au sujet par les termes suivants: « Ce que nous intéressait à ce temps c'était la quatrième dimension. Dans la Boîte Verte il y a un tas de notes sur la quatrième dimension […].  Depuis que je croyais qu'on pût peindre l'ombre d'une chose aux trois dimensions, un objet quelconque - comme la projection du soleil sur la terre qui crée deux dimensions - par analogie simplement intellectuelle je considérai que la quatrième dimension pouvait projeter un objet à trois dimensions ; en autres mots chaque objet aux trois dimensions que nous observons froidement c'est une projection d'une chose à quatre dimensions que nous ne connaissons pas. Il était presque un sophisme, mais il était aussi en fin de compte une chose possible » [17].

Dans les notes de la Boîte Verte, une boîte contenant quatre-vingt treize notes relatives à la réalisation de La Mariée mise à nu… [18], est souvent mentionné cette zone-limite, cet écart, ou «horizon-charnière », que revenant d'une dimension (la « troisième ») a le pouvoir de nous projeter dans une autre (la « quatrième ») [19].

On trouve plusieurs œuvres de Duchamp qui expriment adéquatement ce concept, ou plutôt cette intuition. Nous observons entre temps le plus évident, c'est-à-dire la Porte qu’il se fit construire au 11 de rue Larrey en 1927. Il s’agit d’une porte que, alternativement, ouvre ou ferme en même temps deux milieux distincts et séparés [20]. Donc c’est une porte qui ne délimite pas une zone de frontière (elle s'ouvre en se fermant et se ferme en s'ouvrant) et ce qu'il veut 'voir' Duchamp c'est le passage de communication que s'instaure entre deux milieux: celui-ci dans lequel nous nous remuons comme d’habitude et ce qui réussissons, par contre, vaguement, à percevoir [21].

Ce qu’intéresse ici Marcel Duchamp il est, évidemment, ce qu'il sous-tend au phénomène visuel. Pour cette raison, l'attention de Duchamp s'adresse principalement aux idées et aux opérations mentales là-bas impliquées, et pas plus seulement aux aspects visuels ou « rétiniens ». Son but, en effet, est celui-ci de mener l'attention du sujet qui observe et il recherche, vers une connaissance « élargie », dans un état de silence dans lequel on effleure la magie [22], un endroit, cet aspect ‘quadridimensionnelle’, que l'artiste aperçoit comme lieu de nouvelles possibilités dans lequel « La représentation matérielle ne sera qu'un exemple de chacune de ces formes principales libres » [23].

Une pensée profonde du poétique duchampienne est axé sur le tentative de montrer donc les passages dimensionnels entre les plusieurs et différents niveaux de la réalité afin d'en extraire de nouvelles significations, mais aussi de nouvelles manières parmi lesquelles cette signification se révèle, en mettant en scène une image comme lieu de passage entre différents niveaux de réalité. Les ‘readymades’ en sont, en tel sens, le premier exemple et aussi le plus étonnant de cette conception.

Lorsque, en 1915, Marcel Duchamp commence à travailler à La Mariée mise à nu par ses célibataires, même, ou Grand Verre, l'œuvre considérée le point central de toute sa poétique - où il dirige idées et travaux significatifs aussi bien, précédemment, comme Dulcinée, Jeune homme et jeune-filles dans le printemps, Mariée, Trois Stoppages-étalon, que, en suivant, comme Étant donnés - il propose encore une nouvelle réalité de l'œuvre, heure vécue comme « organisme », c'est à dire un corps qu'il occupe une place à l'intérieur de la réalité environnante qui l'accueille, il lui conditionne et elle en est conditionnée.

Déjà dans le projet initial ils prévoient deux parties bien déconnectées: une, supérieur, dédié à la Mariée; une, inférieur, destinée aux neuf célibataires. Entre ces deux mondes partagés, cependant, Duchamp laisse une troisième « espace de possibilités », un limen, un horizon-charnière qui pourrait devenir « le lieu de rencontre de deux mondes séparés », comme affirme Francois Lyotard en se référant à la Note duchampienne Peut-être faire un tableau de charnière, où on peut lire : « Faire valoir le principe de charnière dans le déplacements 1° dans le plan 2° dans l’espace » [24].  Mais c’est dans l'invisibilité que ces réunions, ces possibilités qui donnent origine à de nouvelles significations peuvent se manifester. Le monde représenté par le Grand Verre est donc celui de l'apparition, c'est-à-dire un type de réalité invisible qui reste au-delà de ce qui semble, car il s’agit d’une autre dimension [25].

Duchamp, dans ses Notes, définit le Grand Verre aussi comme « Un monde en jaune » [26]. En faisant allusion et en sous-entendant aussi à une propagation de la lumière dans les couches profondes de la matière [27], le Grand Verre devient de telle manière aussi bien une représentation symbolique de la lumière même. Mais alors, est-ce que ceci ne reste pas à signifier, peut-être, que pour Duchamp aussi la matière « vit » dans son espace quadridimensionnel (c'est-à-dire celui-là de la lumière) qui intuitivement réussissons à apercevoir grâce à ce qui se révèle à nos sens en formes tridimensionnelles mais que, comme la lumière, ne peut pas que se retrouver dans le monde des idées?

En lisant les Notes de la Boîte Verte, mais aussi celles de la Boîte Blanche [28], il est facile de voir que  ces indications pourraient être à l'origine de la pensée de Duchamp sur la quatrième dimension. Par exemple, en lisant la Note 1912. Machine à 5 cœurs [29], il est évident que la route Jura-Paris que « tendra vers la ligne pure géométrique sans épaisseur » constitue l'horizon-charnière dans lequel d'un espace à deux ou trois dimensions on passe à un espace quadridimensionnel, c'est-à-dire un espace en même temps de nature mentale et physique, une sorte de hyperspace (ou espace virtuelle), dans lesquelles on respire cette liberté de « penser l'impossible ».

Le philosophe français Jean-François Lyotard lui aussi reconnaît que cette virtualité a sa propriété particulière, en joignant cependant à la conclusion inévitable de l’infigurable dans l’espace perceptive de ce qu'est pensé. Toutefois, en reconnaissant que La Mariée mise à nu... soit la mise en œuvre des recherches duchampiennes sur l’espace, et stimulé également par la lecture des Notes des différents Boîtes, Lyotard détermine dans le Grand Verre un exemple de 'greffage' de la quatrième dimension sur objets de la troisième.

Le Grand Verre montre, en effet, formes situées dans une place tridimensionnelle. En haut à gauche, par exemple, le Pendu femelle (comme Duchamp dénomme ultérieurement la Mariée pour en suggérer le mouvement ondulé), selon Lyotard, présente formes qui dérivent d'une organisation de style cubiste, tridimensionnel mais avec un point de vue « explosé » [30] ; différemment, en haut à droite à côté de Pendu femelle, Duchamp suggère et indique un effet de profondeur à travers les Pistons de courant d'air, effet obtenu à travers le claquement de morceaux d'étoffe de gaze exposé à l'action du vent.

Mais en partant des réflexions de Duchamp sur l’espace, Lyotard joint à supposer une unité profonde entre ces formes, unité qu'il serait de rechercher dans une figure de la seule quatrième dimension. Le voilà, alors, que l’espace de la Mariée semblerait être un « conte » unifié mais doué des espaces multiples: il ne sera pas donc concevable, ou pensable, selon les canons de la construction « légitime » de la géométrie euclidienne, parce qu'ici le cas (l’hasard mallarmien) [31] joue un rôle essentiel dans la fabrication de ces « formes principales libres » [32].

L'horizon-charnière est alors ce type de dispositif « mentale » qui, selon Lyotard, on permet de transformer, sur le plan du verre, une projection perspective « classique » dans une projection dans lequel l’espace hésite sur la propre identité et devient flottant. Il est donc nécessaire d'imaginer l'existence d'une quatrième dimension, dans laquelle le problème de la représentation nécessairement se dissout. Le voilà parce que Lyotard affirme que la caractéristique principale du Grand Verre est de fuir à quelconque effet de contrôle et de synthèse interprétative. La dissolution des ensembles visuels provoqués par le travail de Duchamp n'ont pas donc le bût de retrouver un corps ou une forme encore plus « originale » de celui-là des origines, en ouvrant cependant, de telle manière, à un monde prive de n'importe quel point de référence préétablis. La seule ambition que Lyotard reconnaît au Duchamp est celle-là de vouloir « aveugler » l'œil du spectateur qui croit de voir quelque chose. Faire donc une « peinture de la cécité » par pures inventions, ou des « transformateurs », comme Lyotard même définit l'opérateur mental qui met sur ces limen, appelé duchampienment horizon-charnière, que cependant c'est le point de rencontre et de raccordement entre la partie inférieure et la supérieure que nous voyons dans le Verre, et donc endroit de nouvelles possibilités et de jour en jour nouveaux significations [33].

C'est pour ça donc que l'invitation-projet présente dans une Note de la Boîte Verte : « Perdre la possibilité de reconnaître (d'identifier) 2 choses semblables - 2 couleurs, 2 dentelles, 2 chapeaux, 2 formes qc. Arriver à l'impossibilité de mémoire visuelle suffisante pour transporter d'un semblable à l'autre l'empreinte en mémoire » [34] apparaît comme manifeste sollicitation à mettre en cause le statut de l'œuvre d'art traditionnel, ou « classique », encore saisie tenacement à la notion de 'mimesis' qui a en Aristote ses racines.

L'obscurité, ou mieux l'ambiguïté de la phrase, permet ainsi à l'artiste français de ne pas tomber dans un simple discours théorique qui réduirait la portée subversive de son projet, ou acheminer une critique à la société qui n'est pas seulement de type esthétique, mais aussi, et surtout, culturel et politique. A travers  Duchamp l'œuvre d'art ne vise pas plus à la compréhension du public, mais seulement à susciter des effets qui ne sont plus immédiatement déchiffrables. Lyotard reconnaît qu'à le public appartient la tâche du commentaire; cependant, quand il parle d'un public destiné à commenter une œuvre de Duchamp il est évident que le sien n'est pas une invitation à « tenter de comprendre » ou « penser d’avoir compris »; pour celui-ci le philosophe français exhorte à ne pas prendre comme définitive la sienne (et le d'autrui aussi) interprétation de l'œuvre de Duchamp.

D'autre part, il ya toujours quelque chose dans l'œuvre de Duchamp et, plus en général, dans l'œuvre d'art moderne, qui reste non interprétable. Pour ce motif Lyotard s'efforce déjà au début de son analyse à montrer pas la compréhension de la phrase duchampienne, mais plutôt son incompréhensibilité - de laquelle cependant se dégage toute une série de sens qui restent souvent inconnus à l'auteur même - et à procéder dans l'exaltation du non-sens et de ses infinies variables et possibilités.

Nous n'oublions pas, en effet, que la réalité « vraie » est fuyante, indéfinissable; et non pas parce qu’elle sois changeant, mais parce que elle « vit » dans une autre sphère, dans une dimension que nous aussi faisons fatigue à comprendre et se trouve elle-même en devenir. On marche, en effet, entre ombres et illusions et rien de ce qu'on voit, qu'on touche et qu'on pense possède une consistance réelle. Le voilà, donc, qu'entre nous et la réalité il s'interpose une limite: c'est la limite de notre vue, l'horizon-limite - comme parfois l'appelle Duchamp même -, c'est la limite de notre mémoire et de tout ce que fait partie de nos connaissances.

L'objet qui voyons d'une côté n'est pas le même que nous voyons de l'autre: et pourtant l'objet est le même. Donc, ce qu'on voit n'est pas que l'ombre d'une réalité qui se trouve dans une autre dimension. Et représenter la réalité en termes géométriques ce n'est pas que représenter une ombre d'une ombre.

Ceux-ci sont les pensées qui stimulent Duchamp à aller au-delà de cette ombre et a sortir de la trop étroite caverne platonique dans lequel « l’homme nouveau » de la société industrielle s’est maintenant emprisonné. Lorsque, en 1918, Marcel Duchamp exécute Tu ‘m - le dernier tableau anti-tableau que, à travers un écouvillon proéminent, projet une ombre de partie de soi au-delà de l'étage bidimensionnel, il inclut en soi tout ce que, en qualité de « ombres mnémoniques », appartient de ses travaux précédents (différents readymades (Trois Stoppages-étalon, etc.) [35] - il indique expressément, avec une main peinte comme un enseigne signalétique, que ce que doit induire au commentaire ou à la contemplation, se trouve au-delà des ombres, simples projections bidimensionnelles de réalités tridimensionnelles. Il est aux idées, en effet, que le philosophe Duchamp ambitionne.

D'après Plotin, comme selon Duchamp, les idées sont formes libres qui s'envolent de la mesure des sens. Ce que les sens perçoivent, en effet, c'est simple apparence et seulement dans l'invisible on s'aperçoit de la vraie réalité. La géométrie, par conséquence, est seulement un instrument de représentation de l'ombre des idées, c'est-à-dire qu'elle est seulement un instrument à travers lequel on peut voir des formes : et on les voit, bien sûr, mais sans pouvoir jamais complètement les voir. Mais si Duchamp est passionné de l'idée, le problème, s'il y en a un, c'est a comment la représenter. Le voilà que la représentation de l'idée (l'apparition, c'est-à-dire quelque chose qui reste au-delà de ce qu'apparaît), dans l'œuvre duchampienne a lieu dans une autre dimension (« la quatrième ») qui est et reste une dimension exclusivement mentale.

L'art et la pensée de Duchamp ont la force d'annoncer, de préfigurer et de promettre donc l'existence d'un nouveau genre de temps, d'espace, de sensibilité et de raison, en introduisant dans la réalité « vivante » un nouveau système de valeurs capables d'en changer le sens au fond de ses fondements.

L'espace de l'observateur « classique » était réglée par les lois de la géométrie euclidienne et de l'albertienne central perspectif. Aujourd'hui nous savons que la perception perspective et rigoureusement géométrique de la réalité n'est pas la façon « naturelle » de la vision, mais un  « système conceptuel », une « forme symbolique » - en utilisant un terme suffisamment congru de l'historien de l'art Erwin Panofsky [36] - et partiel de représentation de la réalité.

Les façons de représentation de l'espace, en effet, ne sont pas que des méthodes de construction de l'image avec lesquels on représente seulement ce qu'on connait de la réalité et pas ce qu'on voit; des méthodes donc conditionnés des habitudes et de la culture. La perspective mathématique de la Renaissance n’est pas donc la manière naturelle de peintre la réalité, mais c'est un apparat conceptuel complexe qui privilège la représentation de certains renseignements structuraux (relations métriques) respect aux renseignements d'autre type, et ensuite bien différentes de ceux transmises, par exemple, de l'art archaïque ou primitive. Les lois de la perspective ne coïncident donc pas avec celles-là de la vision, comme il est vrai qu'une reproduction « réaliste » peut résulter trompeur pour celui qui n'est pas éduqué à cette manière de représentation: « Reconnaître un objet signifie déterminer quelques-uns de son traite structuraux saillants. Une réplique produit mécaniquement peut seulement dissimuler, ou déformer, tels traits ». C'est l'admirable conclusion, à nôtre avis, de l'historien de l'art et psychologue allemand Rudolf Arnheim [37].

En définitive, la « quatrième » théorisée par Marcel Duchamp est seulement une manière différente de penser la réalité, et la poésie, comme un langage sémantiquement ouvert; il est l'instrument le plus apte pour comprendre et s'adapter à la « quatrième », parce qu'elle on met dans une condition de « élévation » qu'on fait voir les choses sous un autre aspect, plus flottant et harmonique et, vraiment pour celui-ci, encore plus réel. Et, dans ce sens, résultent véritablement opportunes les mots de Duchamp quand il affirme simplement: « D'autre part, la poésie est la seule façon pour dire quelque chose »[38].





[1] I. Kant, Träume eines Geistersehers, erläutert durch Träume der Metaphysik, Königsberg, J. J. Kanter, 1766 ; tr. fr. Les Rêves d’un visionnaire éclaircis par les rêves de la métaphysique, traduction par Joseph Tissot, Paris, Librairie Ladrange, 1863.

[2] Cinquième postulat d'Euclide : « étant donné un point et une droite ne passant pas par ce point, il existe une seule droite passant par ce point et parallèle à la première ».

[3] Lui aussi pure manifestation des capacités 'constructives' de la pensée.

[4] Cf. R. Osserman, Poetry of the Univers : A Mathematical Exploration of the Cosmos, New York, Anchor Books, 1995, p. 88 ; tr. fr. Les Mathématiques de l’Universe. Ératosthène, Einstein, Dante, Feynman et les autres, Paris, Le Pommier, 2008.

[5] G. Apollinaire, Les peintres cubistes, Paris, Figuières, 1913 ; nouvelle édition G. Apollinaire, D. Eimert, Le Cubisme, Paris, Parkstone International, 2010, p. 12.

[6] Ibidem, p. 17. Mais il faut absolument remarquer une certaine 'concordance' entre ce qui exprime Apollinaire et ce qu'écrira plus tard Duchamp en la probablement premier Note qu'il ouvre la Boîte Verte, la 1912. La machine à 5 cœurs (feuille 1 e feuille 2), dans lequel l'auteur décrit le voyage en voiture vers l'Etivàl, dans le Jura, entrepris avec  Apollinaire même, Picabia et la femme de ce dernier Gabrielle Buffet ; pour toutes le Notes cités ici voir M. Duchamp, Duchamp du signe, écrits réunis et présentés par M. Sanouillet, Paris, Flammarion, 1975, alors que les reproductions à la presse de ces notes sont celles de La Bôite Verte en dotation à la Tate Gallery de Londres dans la reproduction Typo/Topographique réalisé en 1960 de Richard Hamilton sous la direction de Marcel Duchamp, consultable à l’adresse

[7] Cf. R. Penrose, The Emperor's New Mind, Oxford, Oxford University Press, 1989 ; traduit de l'anglais par Christian Jeanmougin, Les ombres de l'esprit : à la recherche d'une science de la conscience, Paris, InterEditions, 1995.

[8] En général, on fait correspondre aux droites du plan les lignes géodésiques d'une surface courbe. Ces dernières, en effet, conservent la caractéristique principale des lignes droites et précisément ce sont les lignes les plus brèves que sur la surface on la proprieté de joindre deux points données. Sur la surface de la sphère les géodésiques sont précisément les maximums circonférences, c'est-à-dire les circonférences qu'on obtient en coupant la surface de la sphère avec des plans passant pour son centre. Exemples familiers sont les méridiens et l'équateur et non les parallèles. Mais sur la surface de la sphère « droites » n'existent pas, ou mieux géodésiques qui ne se rencontrent pas. Pour conséquence, n'existeraient pas des parallèles!

[9] M. Duchamp, « The Great Trouble with Art in This Country », interview by James Johnson Sweeney, Bulletin of the Museum of Modern Art, Volume 13, No. 4-5 (1946), pp. 19-21 ; traduction française « Entretien Marcel Duchamp - James Johnson Sweeney », in Duchamp du signe, Écrits, dir. par Michel Sanouillet avec la collaboration d’Elmer Peterson, Paris, Flammarion, 1975, p. 183.

[10] De Jean Metzinger et son entourage (Fernand Léger, Albert Gleizes et Juan Gris, les peintres cubistes qui fréquentaient avec Alexander Archipenko le cercle de Puteaux institué par les frères Jacques Villon et Raymond Duchamp-Villon), Marcel Duchamp, en se référant au refus qui opposèrent à l'exposition de son Nu descendant un escalier au Salon des Indépendants de 1912, disait: « Ça m'a aidé à me libérer du passé, au sens personnel du mot. J’ai dit: Bon, puisque c'est comme ça, pas question d'entrer dans un groupe, il ne faudra compter que sur soi, être seul », cf. M. Duchamp, Ingénieur du temps perdu, Paris, Pierre Belfond, 1977, p. 52.

[11] J. Metzinger, « Cubisme et Tradition », Paris-Journal, 16 août 1911 ; cité dans E. F. Fry, Le cubisme, Bruxelles, La Connaissance, 1968, p. 67.

[12] Ibidem.

[13] L. Dalryple Henderson, The Fourth Dimension and Non-Euclidean Geometry in Modern Art, Princeton, Princeton University Press, 1983, p. 89 [New ed., MIT Press, Cambridge 2013].

[14] E.A. Abbott, Flatland: A Romance of Many Dimensions, Seeley and Co., London 1882; L'ouvrage ne fut publié en France qu'en 1968 dans la collection « Présence du Futur » chez Denoël, traduit par Elisabeth Gille, Flatland... une aventure à plusieurs dimensions..., Paris, Denoël, 1968, p. 118. Publié anonyme en 1882, il eut une second édition, revue, deux ans après. Comme précisé dans le texte, Flatland, Spaceland, Lineland, Pointland et Toughtland sont synonymes, respectivement, du Pays du Plan, de l’Espace, de la Ligne, du Point et de la Pensée. À lire avec plaisir, et en connexion avec les préoccupations artistiques de Duchamp, c'est le dédicace incroyable avec lequel Edward Abbott donne début à son récit fantastique : « Aux habitants de l’ESPACE EN GÉNÉRAL et à H. C. en particulier Cette Œuvre est Dédiée Par un Humble Carré Originaire du Pays des Deux Dimensions Dans l’Espoir que Tout comme lui-même a été Initié aux Mystères des TROIS Dimensions Alors qu’il en connaissait SEULEMENT DEUX Ainsi les Citoyens de cette Céleste Région Élèveront de plus en plus leurs aspirations Vers les Secrets de la QUATRIÈME, de la CINQUIÈME ou même de la SIXIÈME Dimension Contribuant ainsi Au Développement de l’IMAGINATION Et peut-être au progrès de cette Qualité excellente et rare qu’est la MODESTIE Au sein des Races Supérieures de l’HUMANITÉ SOLIDE ». Ces  extraits du texte abbottien ici transcrits traitent des thèmes et images que dans ces ans Marcel Duchamp, tout de suite après l'abandon de la peinture (1912), traitera et approfondira comme bibliothécaire du la Bibliothèque de Sainte Geneviève à Paris.

[15] Ibidem, pp. 118-119.

[16] G. de Pawlowski, Voyage au pays de la quatrième dimension, Paris, E. Fasquelle, 1912 ; on compte aussi une édition de poche chez Images modernes, Paris, une édition en 2004 avec une préface de Jean Clair ; à cet égard, il faut aussi mentionner J. Clair, Marcel Duchamp ou le grand fictif, Galilée, Paris 1975, où la lecture du Grand Verre est toute orientée à la recherche de correspondances entre le travail de Duchamp et le Voyage de Pawlowski.

[17] M. Duchamp, Ingénieur du temps perdu. Entretiens avec Pierre Cabanne, nouvelle édition augmentée, Paris, Belfond, 1977 [1re édition : P. Cabanne, Entretiens avec Marcel Duchamp, Paris, P. Belfond, 1967] ; édition mise à jour, Paris, Somogy, 1995, p. 73.

[18] Publiée en 300 exemplaires, son but spécifique, selon les mots du même Duchamp, il était ce de « réunir dans un album, comme le catalogue de Saint-Étienne, des calculs mathématiques, des réflexions sans quelques-uns rapport entre eux [...]. Je voulais que cet album aille avec le Verre et qu'on puisse le consulter pour voir le Verre parce que, selon moi, il ne devait pas être regardé au sens esthétique du mot. Il fallait consulter le livre et les voir ensemble. La conjonction des deux choses enlevait tout le coté rétinien que je n'aime pas. C’était très logique » ; cf. M. Duchamp, Ingénieur du temps perdu, cit., p.73 ; voir aussi M. Riparini, Le Grand Verre ou la vision « poétique » de Marcel Duchamp, Academia.edu, août 2014.

[19] Voir la Note Peut-être faire un tableau de charnière, in M. Duchamp, Duchamp du signe, cit., p. 36.

[20] Une pièce de bains et une chambre. Duchamp, marié avec Lydie Sarazin-Levassor, en n'ayant pas obtenu la dot espérée et adapta son étude au septième étage au 11 de rue Larrey pour vivre avec sa jeune femme : pour nettoyer les murs Duchamp même utilisa, comme papier peint, du papier absorbante gris-rose ; cf. L. Fischer Sarazin-Levassor, Un échec matrimonial : Le cœur de la mariée mis à nu par son célibataire même, préface par Marc Décimo, Dijon, Les Presses du Réel, 2004.

[21] A cet égard, il peut être intéressant de consulter le Notes de Duchamp, publiées posthumes, relatives à la notion de inframince ; cf. M. Duchamp, Notes, notes inédites réunies et présentées par Paul Matisse et Pontus Hulten, Paris, Centre Georges Pompidou, 1980 ; voir aussi M. Riparini, Le Grand Verre ou la vision « poétique » de Marcel Duchamp, cit.

[22] Cf. M. Duchamp, « The Creative Act », in Art News, vol. 56, n. 4, New York, summer 1957 ; Intervention lors d’une réunion de la Fédération Américaine des Arts à Houston, 3-6 avril 1957 et publié avec la traduction française de l’auteur.

[23] Voir la Note Les formes principales de la machine célibataire, in M. Duchamp, Duchamp du signe, cit., p. 60.

[24] Voir la Note Peut-être faire un tableau de charnière, in M. Duchamp, Duchamp du signe, cit., p. 36.

[25] Cf. C. Subrizi, Introduzione a Duchamp, Bari-Roma, Laterza, 2008, p. 10.

[26] Voir la Note La Mariée mise à nu par ses célibataires, même, in M. Duchamp, Duchamp du signe, cit., p. 59.

[27] Voir la Note Eclairage intérieur, dans lequel Duchamp précise : « Chaque matière dans sa composition chimique est douée d’une phosphorescence [...], l’apparence de matière ayant moléculairement un foyer lumineux », in M. Duchamp, Duchamp du signe, cit., p. 94.

[28] M. Duchamp, Notes, cit.

[29] Voir la Note 1912. La machine à 5 cœurs, (feuille 1 e feuille 2), in M. Duchamp, Duchamp du signe, cit., p. 35.

[30] Cf. J.-F. Lyotard, Les transformateurs Duchamp, Galilèe, Paris 1977, p. 97.


[32] Voir la Note Les formes principales de la machine célibataire, in M. Duchamp, Duchamp du signe, cit., p. 60, cité aussi en J.-F. Lyotard, Les transformateurs Duchamp, cit., p. 98.

[33] Dans le temps, les conditions, dûes aussi au hasard, changent, comme changent aussi, par conséquence, les sens. Est-ce qu'il est celui-ci, donc, le monde einstenien relativiste, où spatialité et temporalité, lié-unifiées et en métamorphose osmotique continue, est-ce qu'ils réentegnent de tout ce qu'il arrive?

[34] Voir la Note Perdre la possibilité de reconnaître, in M. Duchamp, Duchamp du signe, cit., p. 42.

[35] Voir la Note Ombres portées de Readymades, in M. Duchamp, Duchamp du signe, cit., pp. 45-46.

[36] Cf. E. Panofsky, Die Perspektive als ‘symbolische Form’, in “Vorträge der Bibliothek Warburg”, Lipzig-Berlin 1924; tr. fr. La perspective comme forme symbolique, Paris, Édition de Minuit, 1975.

[37] R. Arnheim, Art and Visual Perception : A Psychology of the Creative Eye, Berkeley-Los Angeles, University of California Press, 1954 ; tr. fr. La pensée visuelle, Paris, Flammarion, 1997.


[38] Cf. A. Gervais, Un Chapeau à le livre de J. Suquet, Le Grand Verre : Visite Guidée, Paris, L’Echoppe, 1992 [consultable à l’adress http://www.toutfait.com/issues/issue_1/Articles/largeglassFrench.html]; voir aussi M. Riparini, Le Grand Verre ou la vision « poétique » de Marcel Duchamp, cit.

sabato 30 agosto 2014

Le Grand Verre ou la vision « poétique » de Marcel Duchamp



Le Grand Verre ou la vision « poétique » de Marcel Duchamp  

Parmi toutes les œuvres du XXe siècle, il n’y a probablement pas d’autres qu'ils aient très stimulé l'imagination d'amateurs et critiques d'art et mis à l'épreuve leur érudition et ingéniosité interprétative combien La Mariée mise à nu par ses célibataires, même (ou Grand Verre), une œuvre réalisée sur verre, entre le 1915 et le 1923, par l'artiste français Marcel Duchamp. Lorsque plus tard (1934) Duchamp décide de publier La Boîte Verte (une boîte contenant quatre-vingt-treize notes concernant la réalisation de La Mariée mise à nu…)[1] et il y a aussi le premier important commentaire critique au Grand Verre par André Breton[2], le public eut immédiatement l'impression qui l'œuvre, entre toutes, devait assumer le rôle de principal point de référence de l'Art entière à suivre.

Avec beaucoup de lucidité et d'intuition, Breton nous donne une importante révélation, parce que définir « phare » La Mariée mise à nu... signifiait imposer un revirement radicale du statut et du rôle que l'artiste et l'œuvre d'art auraient du assumer. Cependant, ce que Breton soulignait le plus dans son efforce de déchiffrer l'œuvre c'était le grand bouleversement de l'interprétation que la publication de La Boîte Verte etait en train de provoquer, c'est-à-dire un événement d'une telle importance pour l'histoire de l'art qu'il nous fait apercevoir combien de plus complexe et riche il se manifeste dans l’énorme « mécanisme » que Duchamp a voulut concevoir avec le Grand Verre. Selon Breton les Notes de La Boîte Verte permettent, en effet, de mieux pénétrer « l'entreprise sans d'équivalent dans l'histoire contemporaine », une œuvre dans laquelle « il est impossible de ne pas voir au moins le trophée d'une chasse fabuleuse sur des terres vierges, au confins de l'érotisme, de la spéculation philosophique, de l'esprit de compétition sportive, des dernières données des sciences »[3].

De plus, les Notes, selon Breton jettent sur l'œuvre des indications précieuses qui renvoient sémantiquement a d'autres œuvres et autant d'« endroits » duchampiennes. Par conséquent, ces indications constituent une information supplémentaire mais donné, dans ce cas, miroiriquement[4] avec l'œuvre même. Il s'agit donc d'une aventure fondamentalement mental dans laquelle l’interprétation ne peut pas pour celui-ci se rétrécir à une analyse exclusivement visuelle ou de type spatial. Pour Breton, en effet, à cette analyse de base il faut d'en ajouter d'autres, celles qui concernent au champ du philosophique, du poétique, du romanesque, de l'humoristique, de l'érotique. De cette façon, des approches illimités produisent des interprétations possibles illimitées elles même: et alors nous voici  devant à un nouveau « coup de dés », très semblable, dans plusieurs d'aspects, à celui-là qui, à la fin du XIXe siècle, Stéphane Mallarmé avait joué dans le champ désolé de la poésie[5].

Mais voilà que nous voyons émerger, ici, un sujet considéré « enchevêtré » et « épineux » par les historiens de l'art et que seulement quelque expert connaisseur de l’art duchampienne a traité et utilisé comme un paramètre interprétatif de l'œuvre de Marcel Duchamp, qui, en répondant à une lettre de Jean Suquet, en lui communiquant le propose de vouloir écrire sur son œuvre non en forme de critique mais, plutôt, « en forme de poésie », il affirmait péremptoirement: « La poésie est la seule façon de dire quelque chose »[6]. La propension de l'artiste pour la poésie était confirmée plus tard dans une seconde lettre, dans laquelle, encore une fois en remerciant Suquet, Duchamp déclarait: « Après tout, je vous dois la fière chandelle d'avoir mis à nu [grâce à la forme poétique] ma mise à nu. Vous savez sans doute que vous êtes le seul au monde à avoir reconstitué la gestation du Verre dans ses détails, avec même les nombreuses intentions jamais exécutées »[7].

Avec Duchamp, cependant, une nouvelle déconstruction du langage artistique (à la fois visuel et « poétique ») a eu lieu. Pour Duchamp, comme déjà sous Mallarmé, dans cette nouveau dimension artistique, l'expression et la communication se séparent l'une de l'autre. L’œuvre, en fait, ne « représente » plus, mais simplement elle représente soi-même, pour laquelle la production d'un texte ou d'une œuvre d’art devient un acte de autoréflexion ou de auto-miroir tiré à l'infini. On ne fait plus aucune concession à la communication. On comprend alors comme la poésie « visuelle » de Mallarmé et la vision « poétique » de Duchamp deviennent tous le deux une seule solution privilégiée dans ce nouveau type d'expérience artistique, et on se comprend aussi comme cette œuvre résulte « difficile » pour celui qui cherche en elle la communication ou la représentation de type classique ou conventionnelle. Dans les Notes de La Boîte Verte ce particulier type de poésie transparaît entre les mille échos et jeux de rime du dictionnaire adopté. Chaque Note, en entrant alternativement en relation-collision avec les autres[8], produit tout a fait des nouvelles résonances, des nouvelles interprétations et, enfin, une « nouvelle poésie ».

La littérature, alors, et surtout la poésie, se poses toujours à la base de la création de Marcel Duchamp. « Apollinaire fut le premier à me montrer les œuvres de Roussel [...]. Il fut Roussel fondamentalement le responsable de mon Verre [...].Ce furent ses Impressions d'Afrique à m'indiquer en grandes lignes la pratique à adopter [...]. Je vis immédiatement que je pouvais subir l'influence de Roussel. Je pensais que comme peintre valait mieux être influencé par un écrivain que d'un autre peintre. Et Roussel me montra le chemin »[9]. À ces déclarations relâchées à James Johnson Sweeney en 1946 suivi, enfin, Duchamp: « Voilà la direction qui doit prendre l'art: l'expression intellectuelle plutôt que l'expression animale. J'en ai assez de l'expression bête comme un peintre »[10].
Dans ces affirmations il est évident comme Duchamp aie cherché sa source d'inspiration dans la littérature plutôt que dans la peinture. Mais déjà avant du Grand Verre, pour lequel déclarera ouvertement l'influence roussélienne, les intérêts littéraires de Duchamp étaient orientés pout la plupart vers Jules Laforgue[11], poète qu'il vécut avec obsession l'ennui qui dévore l'existence (on pense naturellement à la série interminable des Dimanches, funèbres « processions » de dimanches qui grisonnent l'existence humaine et en soulignent le malaise)[12], proie d'un spleen que cependant se balance toujours entre le populaire et le sublime, l'humeur sarcastique des Moralités Légendaires et la participation douloureuse de Le sanglot de la terre[13], qui représentent, de toute façon, un mode de fugue du symbolisme.

À lui Duchamp s'inspira soit pour Jeune homme triste dans un train (1911), où depuis du titre transparaît déjà le goût pour l'allitération laforgienne, soit pour l'œuvre qui l'aurait porté à rompre avec la peinture, le Nu descendant un escalier (1912)[14]: les origines remontent clairement à un dessin inspirée aux versets laforgiennnes, Encore à cet astre (1912). Mais, à bien voir, le goût pour l'allitération voilée d'humour d'origine laforgienne est également évident sur ​​le plan visuel : il suffit de penser à ce que Duchamp avait déclaré à propos de la représentation du mouvement, qu’il fait naître selon la singulier idée du « parallélisme élémentaire » : une sorte de « allitération » de formes et de lignes « qui s'étendent parallèlement à l'évolution en douceur pour créer le mouvement et la forme en question »[15].

Après Laforgue, alors, c'est la découverte de Raymond Roussel à déterminer les travaux futurs de Marcel Duchamp. Déjà au cours de la résidence de Munich du Juillet-Août 1912, l'artiste français réfléchissait sur les possibilités de sortir de la peinture rétinienne en appliquant aux propres œuvres une technique « sèche »[16], intellectuel, cet à dire un procédé technique de représentation complètement affranchie d'une approche exclusivement visuelle, physique et mimétique de la réalité.

Mais pour comprendre cette disposition il faut obligatoirement remonter au printemps de 1912, à l'étonnement et aux impressions reçues à Paris au Théâtre Antoine, où l'artiste, en compagnie de Apollinaire, Picabia et Gabrielle Buffet, eut la chance d'assister à la représentation de Impressions d'Afrique soignées en les plus petits détails du même Roussel. Duchamp vit les personnages, les objets et les installations rousséliennes se réaliser sur la scène et il devina, à travers le roussélienne exaltation de l'insolite étroitement liée au jeu de les déplacements linguistiques, la résolution à sa  question: trouver cette art « sèche », intellectuelle et non rétinienne qui le mènera vers une dimension « autre », « magique » et « extrahumaine ». Nous assistons, de cette façon, à la liquidation d'une tradition pluri-centenaire de l'art : machines célibataires et « readymades » sont là sur la scène et déjà présents en puissance devant ses yeux.

Mais Roussel était peut-être l'homme en fuite de la réalité vers un monde de pure imagination... En effet, Duchamp trouva de la fascination en Roussel pour une imagination délirante qui pouvait jaillir à l'infini en partant d'une simple phrase, comme Roussel illustrera successivement en Comment j'ai écrit certains de mes livres[17], texte paru en 1935 comme « livret d’instructions » sur l'écriture adoptée pour la composition des Impressions d'Afrique et Locus solus.

Cependant Roussel ne sera pas le seul à apparaître dans l’hypothétique bibliothèque idéale de Marcel Duchamp[18]. A côté de Roussel nous trouvons, en fait, Jean-Pierre Brisset: sa aberrante Grammaire logique[19] montre une grande capacité à conduire une analyse philologique du langage à travers un réseau incroyable de jeux de mots que, en définitive, il connotera à la fois la production des Notes de les Boîtes duchampiennes[20] que la production « littéraire » de Marcel-Rose Sélavy[21]. Ce qui importe à Marcel Duchamp se révèle donc le côté « poétique » des mots[22], celui-là qui, pour sa nature éminemment indicielle, est capable de renvoyer au-delà du temps et de l'espace « vers une clairière »[23]. Mais qu'est-ce qu'est c'est cette « clairière », cet endroit dans lequel l'artiste français cherche de identifier une dimension « autre » qui, au-delà à rendre la vie le plus supportable et plus riche, mène le spectateur à entrevoir un espace dans lequel c'est seulement l'idée à régner? Il est suffisent, dans ce sens, penser à comme Duchamp parvienne à la réalisation de ses premiers « readymades » et il se pose aussi une question: pourquoi et comme, au-delà des connotations objectives, un « readymade » se charge de ce « coefficient artistique »[24] qui en fait une œuvre d'art.

L'intervention de l'artiste semble, au premier regard, du tout insignifiant si on l'analyse sous l'aspect opérationnel, en consistant simplement dans un « choix » dans l'identification conceptuelle d'une réalité déjà matérialisée que simplement indique une direction de vie dans une dimension « autre » ; mais l'objet choisi, jusqu'à ce moment identique à milliers d'autres, il commence de telle manière, grâce à un simple geste (le choix de l'artiste), que se pose dans une sphère idéale décrochée radicalement du monde inerte et dépourvu de sens des choses.

En analysant brièvement le procès qui rend un objet extrait par le monde quotidien une œuvre d'art, il est évident que le passage de la dimension ordinaire à la dimension « artistique » est un procès qui se produit plutôt rapidement mais qui dénote une différence minime, celle-là que Duchamp appelle « inframince »[25]. Toutefois, ce passage de nature plus mentale que physique ne peut avoir lieu sans l'intervention interprétative du spectateur. C’est le spectateur donc à faire les tableaux[26], en ajoutant leur propre contribution au processus créatif ; voilà parce qu’il est grâce à l'observateur qu'un urinoir, n'importe quel, se transforme, par « inframince », dans l' Urinoir/Fontaine de Marcel Duchamp. En fait, les « readymades » en eux-mêmes ne sont pas Art absolue, parce-que sans le spectateur ils n'existeraient pas comme des objets d'art, mais ils s'accrocheraient encore à la fonction pour laquelle ils ont été fabriqués comment objets industriels. Mais, comme affirmera plus tard Duchamp, dans l'esprit du spectateur « l’inframince » s'agit puissant: «…putting art in the service of the mind, but also putting the mind in the service of Duchamp’s art [!]»[27].

L'idée de « inframince » avait été exemplifiée dans des Notes de Marcel Duchamp, celles-là récoltes posthumes de Paul Matisse et publié en 1980 avec le parrainage du Centre Pompidou[28]. Selon ces Notes le « inframince » dénote une épaisseur, une séparation, une différence, un entre-acte entre deux choses mais en général quelque chose à la perception beaucoup faible. En 1945, en effet, à la question de Denis de Rougemont sur le « inframince », Duchamp répondit : « Quand la fumée de tabac sent aussi de la bouche qui l’exhale, les deux odeurs s’épousent par inframince [...]. Ce n'est pas une mesure précise de laboratoire. Le bruit ou la musique produites par un pantalon de velours côtelé [...], quand on respire, il est de l'ordre de l'inframince [...]. Il m'a tenu très occupé dans les derniers dix ans. Je crois que, grâce à inframince, nous pouvons passer de la deuxième à la troisième dimension »[29].

En citant dans sa conclusion une Note posthume de Duchamp, Hector Obalk a récemment tenté de produire une classification schématique de la notion de « inframince » : « En premier l’inframince signifie ‘très, très, très légèrement’, ce pourrait être un dixième de millimètre, le même de la minceur des papiers. Mais à ce niveau, le concept signifie ‘infinitésimal’, ce n’est pas nouveau ni intéressant. En deuxième, l’inframince caractérise n’importe quelle différence que vous imaginez facilement mais n’existe pas, comme l’épaisseur d’une ombre : l’ombre n’a aucune épaisseur, pas même à la précision d’un Angstrœm. En troisième, l’inframince qualifie une distance ou une différence que vous ne pouvez pas percevoir, mais cela que vous pouvez seulement imaginer. Le meilleur exemple est la séparation infra mince entre mont le bruit de détonation dun fusil (très proche) et la marque de lapparition de la marque de la balle sur la cible »[30].

L'idée de « inframince », alors, est quelque chose qui reste dans l'esprit, c'est-à-dire que s'agit d'un opérateur conceptuel que, en face d'un « readymade » de Marcel Duchamp, nous amène à penser l'objet que nous voyons comme à une œuvre d'art.

Mais alors il est autant possible de considérer de nature « inframince » aussi bien le regard de la jeune fille suisse qui dans l'esprit du sculpteur Alberto Giacometti a pu lui inspirer The Invisible Object (1935): l'avait si bien fait remarquer le critique d'art Rosalind Krauss[31]. En réduisant la forme à l'essentiel est donc, réellement, le regard de l'adolescent, resté gravé au fond de l'esprit de l'artiste, qui à la fin apparaît comme opérateur « inframince » et qu'il rend la pierre ou le métal sculpté une vraie création artistique. En effet, pendant que Giacometti crée « involontairement » ses modèles décharnées prothèses vers le haut, fantômes d'une existence ou interprètes d'une forme théorique de survivance, les hommes et les femmes qui Giacometti modèle sont, de semblable aux œuvres de Marcel Duchamp, plus une construction logique-mentale qui visuelle. Celle de l'artiste est, donc, une perception « poétique » de la vie, parce que tout ce qu'arrive et se succède sous nos yeux « est en train de passer », il est en passage, et l’espace qui s'interpose entre nous et le monde qui nous scrutons change sans arrêt. Nous nous trouvons devant l'œuvre d'art qu'il se révèle comme « arrêt momentané » de l'écoulement du temps, c'est-à-dire un « retard » dans lequel seulement, en suivant les suggestions de Duchamp dans une Note de La Boîte Verte[32], sera possible de s'apercevoir, par « inframince », de la réalité fuyante.

Comme antithèse à tout ce que les futuristes faisaient passer, voilà déjà un mode precurseur et radicale de critique à la société des machines, imprégnée de vitesse et d'initiative industrielle où l'humanité et l'existence des hommes va à se réduire de plus en plus à une larve. Giacometti a fait ça: produire art comme « résiduel », effacement de chaque oripeau, tentative d'arriver à l'existant et le représenter en formes irréductibles qui de l'informe, pour citer un terme cher à Georges Bataille[33], ils résistent et ils émergent à la lumière de la conscience.

Le « inframince » (ou infrathin en anglais), principe spécifiquement duchampien d'une « poétique du mesurer », il devient donc, en Duchamp et en bien d'autres, une pratique qu'il mène à l'apparent zérotage de la forme, une espèce d'anesthésie esthétique au-delà de laquelle on fait l'expérience artistique sous la forme de pensée, peux de geste et activité opérationnelle réduite au minimum : pensez-les, dans ce sens, aux « readymades », mais aussi aux œuvres comme In the Manner of Delvaux (1942) ou With my Tongue en my Cheek (1959), dans lesquelles le passage de la représentation graphique (le dessin tracé sur le papier) à la réalisation « matièrique » (le calque de partie du visage de Duchamp lui-même) du même sujet est déterminé par une simple ligne de démarcation, un limen au-delà duquel nous passons de manière « inframince » d'une dimension à une autre.

Toutefois, en se référant à la notion de « inframince », il serait de grand intérêt de formuler une autre interprétation du Grand Verre. Si « Retard en Verre » signifie en effet « Repos instantané »[34], ce qu'apparaît à la vue du spectateur il ne peut pas qu'être l'image « inframince » que s'interpose entre deux moments en succession, ou le passage (le limen) entre ce qu'il a été et ce que sera. Ce que la Mariée du Grand Verre a été il est probablement Dulcinée (1911), la femme qui Duchamp avait aperçu par hasard en rue et reproduit en une mise à nu par cinq séquences successives et, en chaque cas, dans un espace rigoureusement bidimensionnel. Ce que la Mariée sera il est par contre la femme-idée qui apparaît étendue en Étant donnés: 1° la chute d'eau / 2° les gaz d'éclairage,(1946-1966), c'est-à-dire une « espèce de femme »[35] immergée dans un espace à quatre dimensions, où aussi le passer du temps est bien visible et audible grâce au couler de l'eau de la source et au bec Auer qu'il éclaire, avec une flamme ondulante et plaintive, la scène : donnés que, bien présents aussi dans le Grand Verre, à l'époque ils restaient encore invisibles (dans l'obscurité)[36]. Il apparaît évident  que ce que Duchamp « représente » dans la Mariée du Grand Verre n'est pas d'autre que la Mariée tridimensionnelle, c'est-à-dire l’« apparence allégorique »[37] (ou l'idée en puissance) que, dans une « exposition extra rapide »[38] renvoie « inframince » à un autre espace, le quadridimensionnel, qu'il ne peut pas être que l'espace des idées, ce qui émerge de toute évidence en Étant donnés.




[1] Publiée en 300 exemplaires, son but spécifique, selon les mots du même Duchamp, il était ce de « réunir dans un album, comme le catalogue de Saint-Étienne, des calculs mathématiques, des réflexions sans quelques-uns rapport entre eux [...]. Je voulais que cet album aille avec le Verre et qu'on puisse le consulter pour voir le Verre parce que, selon moi, il ne devait pas être regardé au sens esthétique du mot. Il fallait consulter le livre et les voir ensemble. La conjonction des deux choses enlevait tout le coté rétinien que je n'aime pas. C’était très logique ». M. Duchamp, Ingénieur du temps perdu. Entretiens avec Pierre Cabanne, nouvelle édition augmentée, Paris, Belfond, 1977 [1re édition : P. Cabanne, Entretiens avec Marcel Duchamp, Paris, P. Belfond, 1967] ; édition mise à jour, Paris, Somogy, 1995, p.73.
Avertissement : les références aux Notes de La Boîte Verte sont indiquées en général avec l'incipit de chacun d'elles et en langue originale. La source bibliographique des Notes est toujours M. Duchamp, Duchamp du signe, écrits réunis et présentés par M. Sanouillet, Paris, Flammarion, 1975, pendant que les reproductions à la presse sont celles de La Bôite Verte en dotation à la Tate Gallery de Londres dans la reproduction Typo/Topographique réalisé en 1960 de Richard Hamilton sous la direction de Marcel Duchamp [consultable à l’adresse
[2] A. Breton,  « Le Phare de la Mariée », in Le Minotaure, n. 6, Paris, hiver 1935, pp. 45-49, réédité avec le titre « Marcel Duchamp : Le Phare de la Mariée  », in Le Surréalisme et la peinture, Paris, Gallimard, 1979, pp. 85-99.
[3] Ibid., p. 90.
[4] Terme spécifiquement duchampien, il dénote l'interchangeabilité et la complémentarité, dans l’œuvre duchampienne, entre ce qu'il communique l'image et ce qu'exprime le mot ; voir, en tel sens, les Notes Poids à trous et Parties à regarder en louchant.
[5] Cf. S. Mallarmé, Un coup de dés n'abolira jamais le cas, poème paru en 1897 dans la revue Cosmopolis et publié en 1914 dans La Nouvelle Revue française. Sur l'édition du Un coup de dés et ses infortunes après la mort de Mallarmé, consulter en tout premier lieu les notes et commentaires de Bertrand Marchal pour son édition des Œuvres complètes de Mallarmé, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1998. Poète très apprécié par Duchamp pour la capacité de vider de sens les mots et les faire « résonner » avec des échos et sens toujours différents, il en subit plus directement l'influence dans la conception qui par la suite développera sur le hasard. Pour Octavio Paz, en effet, « La obra gemela del ‘Gran Vidrio’ es ‘Un coup de dés’ » ; cf. O. Paz, Marcel Duchamp o el castillo de la pureza, Mexico, Ediciones ERA, 1968, p. 50 [traduction française Marcel Duchamp : L’apparence mise à nu, Paris, Gallimard, 1977]. Au Mallarmé, Duchamp même affirma: « L'art moderne devrait tourner dans la direction tracée par Mallarmé : pour une expression intellectuelle et pas purement animal » ; cf. M. Duchamp, Ingénieur du temps perdu, op. cit., p. 37.
[6] Cité par A. Gervais, « Un Chapeau » à le livre de J. Suquet, Le Grand Verre : Visite Guidée, Paris, L’Echoppe, 1992 [consultable à l’adresse http://www.toutfait.com/issues/issue_1/Articles/largeglassFrench.html].
[7] Ibid.
[8] Il est possible de penser, en ce cas, qu'en le réunir les Notes de La Boîte Verte Duchamp ait voulu que celles-ci restassent déliées et libres de donner endroit, dans les différents assemblages possibles, à toujours nouvelles réactions « chimiques » dans lequel l'hasard devient l’unique « principe régulateur »? En effets, quand ils se consultent les textes qui reproduisent en ordre thématique les Notes (comme, par exemple, la cité Duchamp du signe soigné par Michel Sanouillet), on perd beaucoup de les possibilités imaginatives et sémiotiques qui pourraient jaillir si ils se consultaient les Notes mêmes en leur abordant entre elles avec des combinaisons toujours différentes. Magie du langage duchampien, déjà exemplifié dans les premières deux Notes jointes Préface. Étant donnés et Avertissement. Étant donnés (dans l’obscurité), dans laquelle on lit comme l'hasard soit la règle et le signe de la concordance la relation entre « cet Repos (capable de toutes les excentricités innombrables) » et « un choix de Possibilités » ; cf. M. Duchamp, Duchamp du signe, op. cit., pp. 36-37.
[9] M. Duchamp, « The Great Trouble with Art in This Country », interview by James Johnson Sweeney, Bulletin of the Museum of Modern Art, Volume 13, No. 4-5 (1946), pp. 19-21 [traduction française in M. Duchamp, Marchand Du Sel : Ecrict de Marcel Duchamp, ed. Michel Sanouillet, Paris, La Terrain Vague, 1958, p. 154-156].
[10] M. Duchamp, Marchand Du Sel, op. cit., p. 156.
[11] M. Duchamp, Ingénieur du temps perdu, op. cit., p. 41.
[12] Aux Dimanches et aux autres œuvres de Laforgue ils renvoient quelques dessins de Duchamp exécutés dans les ans 1908-1909.
[13] Pour toutes les œuvres de Laforgue citées ici on compare J. Laforgue, Œuvres complètes, Tomes I, II, III, Paris, L’Age d’homme, 1986, 1995, 2000.
[14] Certainement, cependant, en pensant au Nu descendant un escalier, on ne peut pas ne pas rappeler l'Igitur de Mallarmé, personnage que, dès que peu ans avant il avait descendu les escaliers pour atteindre la crypte de ses aïeux, une descente dans une zone de silence dans laquelle l'esprit solitaire affrontera l'absolu et son masque, le hasard ; voir O. Paz, Marcel Duchamp : L’apparence mise à nu, op. cit., p. 18.
[15] M. Duchamp, Ingénieur du temps perdu, op. cit., p. 40.
[16] Voir les deux tableaux à l'huile peinte de Duchamp à Munich en 1912, la Mariée et Le passage de la vierge à la mariée, qu'elles furent prodromiques au Grand Verre.
[17] Cf. R. Roussel, Comment j’ai écrit certains de mes livres, Paris, J.-J. Pauvert, 1935.
[18] M. Duchamp, « Entretien avec James Johnson Sweeney », in M. Duchamp, Marchand Du Sel, op. cit., p. 155 ; cf. aussi M. Décimo, La bibliothèque de Marcel Duchamp, peut-être, Dijon, Les Presses du Réel, 2002.
[19] Cf. J.-P. Brisset, La Grammaire logique, ou théorie d’une nouvelle analyse mathématique, Paris, Editions Ernest Leroux, 1883, réédité in Œuvres complètes, soigné par Marc Decimo, Dijon, Les Presses du Réel, 2001.
[20] Par exemple, dans une Note publiée posthume en 1980, il résulte clair la référence à la « grande loi ou clé du mot », le postulat élémentaire formulé par Brisset et exemplifié dans une série sonore : cf. la Note Fossettes d’aisances (in M. Duchamp, Notes, notes inédites réunies et présentées par Paul Matisse et Pontus Hulten, Paris, Centre Georges Pompidou, 1980) avec l’aphorisme Les dents, la bouche de Brisset (cité in M. Duchamp, Marchand Du Sel, op. cit., p. 125).
[21] Cf. Rrose Sélavy, oculisme de précision, poils et coups de pied en tous genres, Paris, Guy Lévis-Mano, 1939.
[22] M. Duchamp, Ingénieur du temps perdu, op. cit., p. 56.
[23] Voir M. Duchamp, « Le Processus créatif », allocution lors d'une réunion de la Fédération Américaine des Arts, Houston (Texas), avril 1957 (texte anglais original, intitulé « The Ceative Act », rédigé en anglais en janvier 1957, publié dans Art News, vol.56, no4, New York, été 1957). Le texte français a été traduit par l'auteur en juillet 1957 afin d'être publié dans Sur Marcel Duchamp de Robert Lebel (Paris, Trianon Press, 1959) et reproduit dans M. Duchamp, Duchamp du signe, nouvelle édition, Paris, Flammarion, 1994, pp. 187-189.
[24] Ibid.
[25] Voir et comparer les différentes Notes recueillies posthumes in M. Duchamp, Notes, notes inédites réunies et présentées par Paul Matisse, op. cit.
[26] De lequel l’aphorisme duchampien devenu célèbre « Sont le regardeurs que font les tableaux » ; voir M. Duchamp, « Marcel Duchamp, vite », entrevue avec Jean Schuster, in Le Surréalisme même, n. 2, Paris, printemps 1957.
[27] Cf. J.D. Russell, Marcel Duchamp’s Readymades: Walking on Infrathin Ice, 2003 [consultable à l’adresse http://www.dada-companion.com/duchamp/archive/duchamp_walking_on_infrathin_ice.pdf ].
[28] À comparer les Notes Semblablité. Similarité ; Quand le fumée ; Séparation infra mince ; Séparation infra-mince ; La différence (dimensionnelle) entre ; Acheter ou prendre des tableaux recueillies posthumes in M. Duchamp, Notes, notes inédites réunies et présentées par Paul Matisse, op. cit.
[29] Cité par J. Clair, Duchamp et la photographie, Paris, Editions du Chène, 1977, pp. 96-98, un entretien de Duchamp avec Denis de Rougemont du 6 Août 1945 où l’artiste précise la notion d’inframince ; cf. Note Quand le fumée in M. Duchamp, Notes, op cit. [nos italiques].
[30] H. Obalk, « The Unfindable Readymade » (1996), in Tout-fait. The Marcel Duchamp Studies Online Journal,  vol. 1, issue 2, Articles, may 2000 [consultable à l’adresse http://www.toutfait.com/issues/issue_2/Articles/obalk.html]. Dans la conclusion est citée la Note Séparation infra mince (in M. Duchamp, Notes, op.cit.).
[31] En effet, Rosalind Krauss voit en Giacometti le fondateur de ce nouveau paradigme que hautaine profondément les modèles de la sculpture, en opérant un repli de l’œuvre dans l’espace fine alors occupée par le piédestal simple. Pour les conséquences de cet important passage, cf. R. Krauss, « No More Play », in The Originality of the Avant-Garde and Other Modernist Myths, Cambridge (MA), MIT Press, 1986, où on avertit déjà la conclusion kraussienne sur l'art « célibataire », ou ce type d'art que de l'altérité, de l'informe, du déclassement il émerge merci à un procès de « évanescence categoriale », qu'il n'est pas du tout imprécision ou indétermination de définitions, mais plus précisément un évanescence qu'il implique le se briser de beaucoup de barrières (ou de « catégories »), en donnant ainsi vie à cette art « célibataire » qui, avec beaucoup d'avance, Marcel Duchamp avait acheminé au début du siècle ; cf., en tel sens, R. Krauss, Bachelors, Cambridge (MA), MIT Press, 2000 et Y.-A. Bois, R. Krauss, L'Informe : Mode d’emploi, Paris, Centre Georges Pompidou, 1996.
[32] Voir la Note Sorte de sous-titre. Retard en Verre, in M. Duchamp, Duchamp du signe, op. cit., p. 34.
[33] Cf. G. Bataille, voix « Informe », in Documents, Tome I, Paris, 1929, p. 382 ; cf. aussi « L’art primitif », in Documents, Tome II, n. 7, Paris, 1930, pp. 389-397, maintenant en Œuvres Complètes, Paris, Gallimard, 1970, pp. 247-254.
[34] Voir la Note Sorte de sous-titre. Retard en Verre, in M. Duchamp, Duchamp du signe, op. cit., p. 34.
[35] Du point de vue conceptuel bien différente de celle-là rétracte dans L'origine du Monde (1866) de Gustav Courbet, initiateur, à dite de Duchamp, de la peinture « rétinienne ».
[36] Voir la Note Avertissement. Étant donnés (dans l’obscurité), in M. Duchamp, Duchamp du signe, op. cit., p. 37.
[37] Ibid.
[38] Ibid.