Le Grand
Verre ou la vision « poétique » de Marcel
Duchamp
Parmi
toutes les œuvres du XXe siècle, il n’y a probablement pas d’autres qu'ils aient
très stimulé l'imagination d'amateurs et critiques d'art et mis à l'épreuve leur érudition et
ingéniosité interprétative combien La
Mariée mise à nu par ses célibataires, même (ou Grand
Verre), une œuvre réalisée sur verre, entre le 1915 et le 1923, par l'artiste
français Marcel Duchamp. Lorsque plus
tard (1934) Duchamp décide de publier La
Boîte Verte (une boîte contenant
quatre-vingt-treize notes concernant la réalisation de La Mariée mise à nu…)[1]
et il y a
aussi le premier important commentaire critique au Grand Verre par André Breton[2], le public eut immédiatement
l'impression qui l'œuvre, entre toutes, devait assumer le rôle de principal point de référence de l'Art entière à
suivre.
Avec beaucoup de
lucidité et d'intuition, Breton nous donne une importante révélation, parce que définir « phare » La Mariée
mise à nu... signifiait imposer un
revirement radicale du statut et du rôle que l'artiste et l'œuvre d'art
auraient du assumer. Cependant, ce que Breton soulignait le plus dans son
efforce de déchiffrer l'œuvre c'était le grand bouleversement de
l'interprétation que la publication de La
Boîte Verte etait en train de provoquer, c'est-à-dire un événement d'une
telle importance pour l'histoire de l'art qu'il nous fait apercevoir combien de
plus complexe et riche il se manifeste dans l’énorme « mécanisme »
que Duchamp a voulut concevoir avec le Grand Verre. Selon Breton les Notes de La Boîte Verte permettent, en effet, de mieux pénétrer « l'entreprise sans d'équivalent dans l'histoire
contemporaine », une œuvre dans laquelle « il est impossible de ne
pas voir au moins le trophée d'une chasse fabuleuse sur des terres vierges, au
confins de l'érotisme, de la spéculation philosophique, de l'esprit de
compétition sportive, des dernières données des sciences »[3].
De plus,
les Notes, selon Breton jettent sur
l'œuvre des indications précieuses qui renvoient sémantiquement
a d'autres œuvres et autant d'« endroits » duchampiennes. Par conséquent, ces indications
constituent une information supplémentaire mais
donné, dans ce cas, miroiriquement[4]
avec l'œuvre même. Il s'agit donc d'une aventure fondamentalement mental dans laquelle
l’interprétation ne peut pas pour celui-ci se rétrécir à une analyse
exclusivement visuelle ou de type spatial. Pour Breton, en effet, à
cette analyse de base il faut d'en
ajouter d'autres, celles qui concernent au champ du philosophique, du poétique,
du romanesque, de l'humoristique, de l'érotique. De cette façon,
des approches illimités produisent des interprétations
possibles illimitées elles même:
et alors nous voici
devant à un nouveau « coup de dés », très semblable, dans plusieurs d'aspects, à celui-là qui, à la fin
du XIXe siècle, Stéphane Mallarmé avait joué dans le champ désolé de
la poésie[5].
Mais voilà que nous voyons
émerger, ici, un sujet considéré « enchevêtré » et
« épineux » par les historiens de l'art et que seulement quelque expert connaisseur de l’art duchampienne a traité et utilisé comme un paramètre
interprétatif de l'œuvre de Marcel Duchamp, qui,
en répondant à une lettre de Jean Suquet, en lui communiquant le propose de
vouloir écrire sur son œuvre non en forme de critique mais, plutôt, « en
forme de poésie », il affirmait péremptoirement: « La
poésie est la seule façon de dire
quelque chose »[6]. La
propension de l'artiste pour la
poésie était confirmée plus tard
dans une seconde lettre, dans laquelle, encore une fois en remerciant
Suquet, Duchamp déclarait: « Après tout, je vous dois la fière
chandelle d'avoir mis à nu [grâce à la
forme poétique] ma mise à nu. Vous savez sans doute que vous êtes le
seul au monde à avoir reconstitué la gestation du Verre dans ses détails, avec
même les nombreuses intentions jamais exécutées »[7].
Avec Duchamp, cependant, une nouvelle
déconstruction du langage artistique (à la fois visuel et
« poétique ») a eu lieu. Pour Duchamp, comme déjà sous Mallarmé, dans cette nouveau dimension
artistique, l'expression et la
communication se séparent l'une de l'autre. L’œuvre, en fait, ne « représente » plus, mais simplement elle représente
soi-même, pour laquelle la production d'un texte ou
d'une œuvre d’art devient un acte de autoréflexion ou de
auto-miroir tiré à l'infini. On ne fait plus aucune concession à la communication. On comprend alors comme la poésie
« visuelle » de Mallarmé et la vision « poétique » de
Duchamp deviennent tous le deux une seule solution privilégiée dans ce nouveau
type d'expérience artistique, et on se comprend aussi comme cette œuvre résulte
« difficile » pour celui qui cherche en elle la communication ou la
représentation de type classique ou conventionnelle. Dans les Notes de La Boîte Verte
ce particulier type de poésie transparaît entre les mille échos et jeux de rime
du dictionnaire adopté. Chaque Note, en entrant alternativement en
relation-collision avec les autres[8], produit tout a fait des
nouvelles résonances, des nouvelles interprétations et, enfin, une
« nouvelle poésie ».
La littérature, alors, et surtout la poésie, se poses toujours à la base de la création de Marcel Duchamp. « Apollinaire
fut le premier à me montrer les œuvres de Roussel [...]. Il fut Roussel fondamentalement
le responsable de mon Verre [...].Ce furent ses Impressions
d'Afrique à m'indiquer en grandes lignes la pratique à adopter [...]. Je vis immédiatement que je pouvais subir l'influence
de Roussel. Je pensais que comme peintre valait mieux être influencé par un
écrivain que d'un autre peintre. Et Roussel me montra le chemin »[9]. À ces déclarations relâchées à James Johnson Sweeney en
1946 suivi, enfin, Duchamp: « Voilà la direction qui doit prendre l'art:
l'expression intellectuelle plutôt que l'expression animale. J'en
ai assez de l'expression bête comme un peintre »[10].
Dans ces
affirmations il est évident comme Duchamp aie cherché sa source d'inspiration
dans la littérature plutôt que dans la peinture. Mais déjà avant du Grand Verre, pour lequel déclarera ouvertement
l'influence roussélienne,
les intérêts littéraires de Duchamp étaient orientés pout la plupart vers Jules
Laforgue[11],
poète qu'il vécut avec obsession l'ennui qui dévore l'existence (on pense naturellement
à la série interminable des Dimanches,
funèbres « processions » de dimanches qui grisonnent l'existence
humaine et en soulignent le malaise)[12], proie d'un spleen que cependant se balance toujours entre le
populaire et le sublime, l'humeur sarcastique des Moralités Légendaires et la participation douloureuse de Le sanglot de la terre[13], qui représentent, de toute façon, un mode de fugue du
symbolisme.
À lui Duchamp s'inspira
soit pour Jeune homme
triste dans un train
(1911), où depuis du titre transparaît déjà le goût pour
l'allitération laforgienne, soit pour l'œuvre qui l'aurait porté à
rompre avec la peinture, le Nu
descendant un escalier (1912)[14]: les origines remontent
clairement à un dessin inspirée aux
versets laforgiennnes, Encore
à cet astre (1912). Mais, à bien voir,
le goût pour l'allitération voilée d'humour d'origine laforgienne est également évident sur le plan visuel :
il suffit de penser à ce que Duchamp
avait déclaré à propos de la représentation du mouvement, qu’il fait naître selon
la singulier idée du « parallélisme élémentaire » : une sorte de
« allitération » de formes et de lignes « qui s'étendent parallèlement à
l'évolution en douceur pour créer
le mouvement et la forme en
question »[15].
Après Laforgue, alors, c'est la découverte de Raymond Roussel
à déterminer les travaux futurs de Marcel Duchamp.
Déjà au cours de la résidence de Munich du
Juillet-Août 1912, l'artiste français réfléchissait sur les possibilités de sortir de la peinture
rétinienne en appliquant aux
propres œuvres une technique « sèche »[16],
intellectuel, cet à dire un procédé technique de représentation complètement
affranchie d'une approche exclusivement visuelle, physique et mimétique de la
réalité.
Mais pour comprendre cette disposition il faut
obligatoirement remonter au printemps de 1912, à l'étonnement et aux
impressions reçues à Paris au Théâtre Antoine, où l'artiste, en compagnie de
Apollinaire, Picabia et Gabrielle Buffet, eut la chance d'assister à la
représentation de Impressions d'Afrique
soignées en les plus petits détails du même Roussel. Duchamp vit les
personnages, les objets et les installations rousséliennes se réaliser sur la
scène et il devina, à travers le roussélienne exaltation de l'insolite
étroitement liée au jeu de les déplacements linguistiques, la résolution à sa question: trouver cette art
« sèche », intellectuelle et non rétinienne qui le mènera vers une
dimension « autre », « magique » et
« extrahumaine ». Nous assistons, de cette façon, à la liquidation
d'une tradition pluri-centenaire de l'art : machines célibataires et
« readymades » sont là sur la scène et déjà présents en puissance
devant ses yeux.
Mais Roussel était peut-être l'homme en fuite de
la réalité vers un monde de pure imagination... En effet, Duchamp trouva de la
fascination en Roussel pour une imagination délirante qui pouvait jaillir à
l'infini en partant d'une simple phrase, comme Roussel illustrera
successivement en Comment j'ai écrit
certains de mes livres[17],
texte paru en 1935 comme « livret d’instructions » sur l'écriture
adoptée pour la composition des Impressions
d'Afrique et Locus solus.
Cependant Roussel ne sera pas le seul à apparaître
dans l’hypothétique bibliothèque idéale de Marcel Duchamp[18].
A côté de Roussel nous trouvons, en fait,
Jean-Pierre Brisset: sa aberrante Grammaire logique[19]
montre une grande capacité à conduire une analyse philologique du langage à travers un réseau incroyable de jeux de mots
que, en définitive, il
connotera à la fois la production des Notes de les Boîtes duchampiennes[20]
que la production « littéraire » de Marcel-Rose Sélavy[21].
Ce qui importe à Marcel Duchamp se révèle donc le côté « poétique » des mots[22], celui-là qui, pour sa nature éminemment indicielle, est capable de renvoyer au-delà du temps et de l'espace « vers une clairière »[23]. Mais qu'est-ce qu'est c'est cette « clairière », cet
endroit dans lequel l'artiste français cherche de identifier
une dimension « autre » qui, au-delà à rendre la
vie le plus supportable et plus riche, mène le spectateur à entrevoir un
espace dans lequel c'est seulement l'idée à régner? Il est
suffisent, dans ce sens, penser à comme Duchamp parvienne à la réalisation de
ses premiers « readymades » et il se pose aussi une question:
pourquoi et comme, au-delà des connotations objectives, un
« readymade » se charge de ce
« coefficient artistique »[24] qui en fait une œuvre d'art.
L'intervention de
l'artiste semble, au premier regard, du tout insignifiant si on l'analyse sous
l'aspect opérationnel, en consistant simplement dans un « choix »
dans l'identification
conceptuelle
d'une réalité déjà matérialisée que simplement indique une direction de vie
dans une dimension « autre » ; mais l'objet choisi, jusqu'à ce
moment identique à milliers d'autres, il commence de
telle manière, grâce à un simple geste (le choix de l'artiste), que se pose dans une
sphère idéale décrochée radicalement du monde inerte et dépourvu de sens des
choses.
En analysant brièvement le procès
qui rend un objet extrait par le monde quotidien une
œuvre d'art, il est évident que le passage de la dimension
ordinaire à la dimension « artistique » est un procès qui se produit plutôt rapidement mais qui dénote une
différence minime, celle-là que Duchamp appelle « inframince »[25].
Toutefois, ce passage de nature plus mentale que physique ne peut avoir lieu
sans l'intervention interprétative du spectateur. C’est le spectateur donc à
faire les tableaux[26],
en ajoutant leur propre contribution au processus créatif ; voilà parce
qu’il est grâce à l'observateur qu'un urinoir, n'importe quel, se transforme,
par « inframince », dans l' Urinoir/Fontaine de Marcel Duchamp. En fait, les
« readymades » en eux-mêmes ne sont pas Art absolue, parce-que sans
le spectateur ils n'existeraient pas comme des objets d'art, mais ils
s'accrocheraient encore à la fonction pour laquelle ils ont été fabriqués
comment objets industriels. Mais, comme affirmera plus tard Duchamp, dans
l'esprit du spectateur « l’inframince » s'agit puissant: «…putting art in the service of the mind, but
also putting the mind in the service of Duchamp’s art [!]»[27].
L'idée de
« inframince » avait été exemplifiée dans des Notes de Marcel
Duchamp, celles-là récoltes posthumes de Paul Matisse et publié en 1980 avec le
parrainage du Centre Pompidou[28]. Selon ces Notes le
« inframince » dénote une épaisseur, une séparation, une différence,
un entre-acte entre deux choses mais en général quelque chose à la perception
beaucoup faible. En 1945, en effet, à la question de Denis de Rougemont sur le
« inframince », Duchamp répondit : « Quand la fumée
de tabac sent aussi de la bouche qui l’exhale, les deux odeurs s’épousent par inframince [...]. Ce n'est pas une mesure précise de
laboratoire. Le bruit ou la musique produites par un pantalon de velours côtelé
[...], quand on respire, il est de l'ordre de l'inframince [...]. Il m'a tenu
très occupé dans les derniers dix ans. Je
crois que, grâce à inframince, nous pouvons passer de la deuxième à la troisième dimension »[29].
En citant dans sa conclusion une Note posthume
de Duchamp, Hector Obalk a récemment tenté
de produire une classification schématique
de la notion de « inframince » :
« En premier l’inframince
signifie ‘très, très, très légèrement’, ce pourrait être un dixième de
millimètre, le même de la minceur des papiers. Mais à ce niveau, le concept
signifie ‘infinitésimal’, ce n’est pas nouveau ni intéressant. En deuxième, l’inframince caractérise n’importe quelle
différence que vous imaginez facilement mais n’existe pas, comme l’épaisseur
d’une ombre : l’ombre n’a aucune épaisseur, pas même à la précision d’un Angstrœm.
En troisième, l’inframince qualifie une distance ou une différence que vous ne
pouvez pas percevoir, mais cela que vous pouvez seulement imaginer. Le
meilleur exemple est la séparation infra
mince entre mont le bruit de détonation d’un fusil (très proche) et la marque de l’apparition de la marque de la balle sur la cible »[30].
L'idée
de « inframince »,
alors, est quelque chose qui reste dans l'esprit,
c'est-à-dire que s'agit d'un opérateur conceptuel
que, en face d'un « readymade »
de Marcel Duchamp, nous amène à penser l'objet que nous voyons comme à une œuvre d'art.
Mais alors il est
autant possible de considérer de nature « inframince » aussi bien le
regard de la jeune fille suisse qui dans l'esprit du sculpteur Alberto
Giacometti a pu lui inspirer The Invisible Object (1935): l'avait si bien fait remarquer le critique d'art
Rosalind Krauss[31]. En
réduisant la forme à l'essentiel est donc, réellement, le regard de
l'adolescent, resté gravé au fond de l'esprit de l'artiste, qui à la fin
apparaît comme opérateur « inframince » et qu'il rend la pierre ou le
métal sculpté une vraie création artistique. En effet,
pendant que Giacometti crée « involontairement » ses modèles
décharnées prothèses vers le haut, fantômes d'une existence ou interprètes
d'une forme théorique de survivance, les hommes et les femmes qui Giacometti
modèle sont, de semblable aux œuvres de Marcel
Duchamp, plus une construction logique-mentale qui visuelle. Celle de l'artiste
est, donc, une perception « poétique » de la vie, parce que tout ce
qu'arrive et se succède sous nos yeux « est en train de passer », il
est en passage, et l’espace qui s'interpose entre nous et le monde qui nous
scrutons change sans arrêt. Nous nous trouvons devant l'œuvre d'art qu'il se
révèle comme « arrêt momentané » de l'écoulement du temps, c'est-à-dire un « retard » dans lequel
seulement, en suivant les suggestions de Duchamp dans une Note de La Boîte Verte[32], sera possible de s'apercevoir, par « inframince »,
de la réalité fuyante.
Comme antithèse à
tout ce que les futuristes faisaient passer, voilà déjà un mode precurseur et
radicale de critique à la société des machines, imprégnée de vitesse et
d'initiative industrielle où l'humanité et l'existence des hommes va à se
réduire de plus en plus à une larve. Giacometti a fait ça: produire art comme
« résiduel », effacement de chaque oripeau, tentative d'arriver à l'existant
et le représenter en formes irréductibles qui de l'informe, pour citer un terme cher à Georges Bataille[33], ils résistent et ils émergent à la lumière de la conscience.
Le
« inframince » (ou infrathin en anglais), principe spécifiquement duchampien d'une « poétique du
mesurer », il devient donc, en Duchamp et en bien d'autres, une pratique
qu'il mène à l'apparent zérotage de la forme, une espèce d'anesthésie
esthétique au-delà de laquelle on fait l'expérience artistique sous la forme de
pensée, peux de geste et activité opérationnelle réduite au minimum :
pensez-les, dans ce sens, aux « readymades », mais aussi aux œuvres comme In the Manner of Delvaux (1942) ou With my Tongue en my Cheek (1959), dans
lesquelles le passage de la représentation graphique (le dessin tracé sur le
papier) à la réalisation « matièrique » (le calque de partie du visage
de Duchamp lui-même) du même sujet est déterminé par une simple ligne de
démarcation, un limen au-delà duquel nous passons de manière « inframince » d'une dimension à une
autre.
Toutefois, en se référant à la notion
de « inframince »,
il serait de grand intérêt de formuler une autre interprétation du Grand
Verre. Si « Retard en Verre » signifie en effet « Repos
instantané »[34], ce qu'apparaît à la vue du spectateur il ne peut pas qu'être
l'image « inframince » que s'interpose entre deux moments en succession, ou le passage (le limen) entre ce qu'il a été et ce que
sera. Ce que la Mariée du Grand Verre
a été il est probablement Dulcinée (1911), la
femme qui Duchamp avait aperçu par hasard en rue et reproduit en une mise à nu
par cinq séquences successives et, en chaque cas, dans un
espace rigoureusement bidimensionnel. Ce que la Mariée sera il est par contre la femme-idée qui
apparaît étendue en Étant
donnés: 1° la chute d'eau / 2° les gaz d'éclairage,(1946-1966),
c'est-à-dire une « espèce de femme »[35] immergée dans un
espace à quatre dimensions, où aussi le passer du temps est bien visible et
audible grâce au couler de l'eau de la source et au bec Auer qu'il éclaire,
avec une flamme ondulante et plaintive, la scène : donnés que, bien présents aussi dans le Grand Verre, à l'époque ils restaient encore invisibles (dans l'obscurité)[36]. Il apparaît évident que ce que Duchamp « représente »
dans la Mariée du Grand Verre n'est
pas d'autre que la Mariée tridimensionnelle, c'est-à-dire l’« apparence
allégorique »[37] (ou l'idée en
puissance) que, dans une « exposition extra rapide »[38] renvoie
« inframince » à un autre espace, le quadridimensionnel, qu'il ne
peut pas être que l'espace des idées, ce qui émerge de toute évidence en Étant donnés.
[1] Publiée en 300 exemplaires, son but spécifique,
selon les mots du même Duchamp, il était ce de « réunir dans un album,
comme le catalogue de Saint-Étienne, des calculs mathématiques, des réflexions
sans quelques-uns rapport entre eux [...]. Je voulais que cet album aille avec
le Verre et qu'on puisse le consulter pour voir le Verre parce que, selon moi,
il ne devait pas être regardé au sens esthétique du mot. Il fallait consulter
le livre et les voir ensemble. La conjonction des
deux choses enlevait tout le coté rétinien que je n'aime pas. C’était très
logique ». M. Duchamp, Ingénieur du temps perdu.
Entretiens avec Pierre Cabanne, nouvelle édition augmentée, Paris, Belfond,
1977 [1re édition : P. Cabanne,
Entretiens avec Marcel Duchamp,
Paris, P. Belfond, 1967] ; édition mise à jour, Paris, Somogy, 1995, p.73.
Avertissement : les références aux Notes de La Boîte Verte sont indiquées en général
avec l'incipit de chacun d'elles et en langue originale. La source
bibliographique des Notes est toujours M. Duchamp,
Duchamp du signe, écrits réunis et présentés par M.
Sanouillet, Paris, Flammarion, 1975, pendant que les
reproductions à la presse sont celles de La
Bôite Verte en dotation à la Tate Gallery de Londres dans la reproduction
Typo/Topographique réalisé en 1960 de Richard Hamilton sous la direction de
Marcel Duchamp [consultable à l’adresse
[2] A. Breton, « Le Phare de la Mariée », in Le Minotaure, n. 6, Paris, hiver 1935,
pp. 45-49, réédité avec le titre « Marcel
Duchamp : Le Phare de la Mariée », in Le Surréalisme
et la peinture, Paris, Gallimard, 1979, pp. 85-99.
[3] Ibid.,
p. 90.
[4] Terme spécifiquement duchampien, il
dénote l'interchangeabilité et la complémentarité, dans l’œuvre
duchampienne, entre ce qu'il communique l'image et ce qu'exprime le mot ;
voir, en tel sens, les Notes Poids
à trous et Parties
à regarder en louchant.
[5] Cf.
S. Mallarmé, Un coup de dés
n'abolira jamais le cas, poème paru en 1897 dans la revue Cosmopolis et
publié en 1914 dans La Nouvelle Revue française. Sur l'édition du Un coup de dés et ses infortunes après
la mort de Mallarmé, consulter en tout premier lieu les notes et commentaires
de Bertrand Marchal pour son édition des Œuvres
complètes de Mallarmé, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1998. Poète très apprécié par Duchamp pour la capacité de vider de
sens les mots et les faire « résonner » avec des échos et sens toujours
différents, il en subit plus directement l'influence dans la conception qui par
la suite développera sur le hasard. Pour Octavio Paz, en
effet, « La obra
gemela del ‘Gran Vidrio’ es ‘Un coup de dés’ » ; cf. O. Paz, Marcel Duchamp o el castillo de la pureza, Mexico, Ediciones ERA,
1968, p. 50 [traduction française Marcel
Duchamp : L’apparence mise à nu, Paris, Gallimard, 1977]. Au Mallarmé, Duchamp même affirma: « L'art moderne devrait
tourner dans la direction tracée par Mallarmé : pour une expression
intellectuelle et pas purement animal » ; cf. M. Duchamp, Ingénieur du temps perdu, op. cit., p.
37.
[6] Cité par A. Gervais, « Un
Chapeau » à le livre de J.
Suquet, Le Grand Verre : Visite Guidée, Paris, L’Echoppe,
1992 [consultable à l’adresse
http://www.toutfait.com/issues/issue_1/Articles/largeglassFrench.html].
[7] Ibid.
[8] Il est possible de penser, en ce cas, qu'en le
réunir les Notes de La Boîte Verte Duchamp ait voulu que celles-ci restassent
déliées et libres de donner endroit, dans les différents assemblages possibles,
à toujours nouvelles réactions « chimiques » dans lequel l'hasard
devient l’unique « principe régulateur »? En effets, quand ils se consultent les textes qui reproduisent
en ordre thématique les Notes (comme, par exemple, la cité Duchamp du signe soigné par Michel Sanouillet), on perd beaucoup de les possibilités
imaginatives et sémiotiques qui pourraient jaillir si ils se consultaient les Notes mêmes en leur abordant entre elles
avec des combinaisons toujours différentes. Magie du langage duchampien, déjà
exemplifié dans les premières deux Notes jointes Préface. Étant donnés et Avertissement. Étant donnés (dans l’obscurité), dans laquelle on lit comme l'hasard soit la règle et le signe de la concordance la relation
entre « cet Repos (capable de toutes les excentricités innombrables) »
et « un choix de Possibilités » ; cf. M. Duchamp,
Duchamp du signe, op. cit., pp.
36-37.
[9] M. Duchamp, « The Great Trouble with Art in This Country »,
interview by James Johnson Sweeney, Bulletin of the Museum of Modern
Art, Volume 13, No. 4-5 (1946), pp. 19-21 [traduction française in M. Duchamp,
Marchand Du Sel : Ecrict de Marcel
Duchamp, ed. Michel Sanouillet, Paris, La Terrain Vague, 1958, p. 154-156].
[10] M. Duchamp, Marchand Du
Sel, op. cit., p. 156.
[11] M. Duchamp, Ingénieur du temps perdu, op.
cit., p. 41.
[13] Pour toutes les œuvres
de Laforgue citées ici on compare J. Laforgue,
Œuvres complètes, Tomes I, II, III,
Paris, L’Age d’homme, 1986, 1995, 2000.
[14] Certainement,
cependant, en pensant au Nu descendant un
escalier, on ne peut pas ne pas rappeler l'Igitur de Mallarmé, personnage que, dès que peu ans avant il avait
descendu les escaliers pour atteindre la crypte de ses aïeux, une descente dans
une zone de silence dans laquelle l'esprit solitaire affrontera l'absolu et son
masque, le hasard ; voir O. Paz, Marcel Duchamp : L’apparence mise à nu, op. cit., p. 18.
[15] M.
Duchamp, Ingénieur
du temps perdu, op. cit., p. 40.
[16] Voir les deux tableaux à l'huile peinte
de Duchamp à Munich en 1912, la Mariée et Le
passage de la vierge à la mariée, qu'elles furent prodromiques au Grand
Verre.
[17] Cf. R. Roussel, Comment
j’ai écrit certains de mes livres, Paris, J.-J. Pauvert, 1935.
[18] M. Duchamp, « Entretien avec James
Johnson Sweeney », in M. Duchamp,
Marchand Du Sel, op. cit., p. 155 ; cf. aussi M. Décimo, La bibliothèque de Marcel Duchamp, peut-être, Dijon, Les Presses du
Réel, 2002.
[19] Cf. J.-P. Brisset, La Grammaire logique, ou
théorie d’une nouvelle analyse mathématique, Paris, Editions Ernest Leroux, 1883,
réédité in Œuvres complètes, soigné par Marc Decimo, Dijon, Les
Presses du Réel, 2001.
[20] Par exemple,
dans une Note publiée posthume en 1980, il résulte clair la référence à la «
grande loi ou clé du mot », le postulat élémentaire formulé par Brisset et
exemplifié dans une série sonore : cf. la Note
Fossettes
d’aisances (in M. Duchamp, Notes, notes inédites
réunies et présentées par Paul Matisse et Pontus Hulten, Paris, Centre Georges
Pompidou, 1980) avec l’aphorisme Les
dents, la bouche de Brisset (cité in
M. Duchamp, Marchand Du Sel, op. cit., p. 125).
[21] Cf. Rrose Sélavy, oculisme de
précision, poils et coups de pied en tous genres, Paris, Guy Lévis-Mano,
1939.
[22] M. Duchamp, Ingénieur du temps perdu, op.
cit., p. 56.
[23] Voir M. Duchamp, « Le Processus créatif », allocution lors d'une réunion de la Fédération
Américaine des Arts, Houston (Texas), avril 1957 (texte anglais original,
intitulé « The Ceative Act », rédigé en anglais en janvier 1957, publié dans Art News, vol.56, no4, New York, été
1957). Le texte français a été traduit par l'auteur en juillet 1957 afin d'être
publié dans Sur Marcel Duchamp de
Robert Lebel (Paris, Trianon Press, 1959) et reproduit dans M. Duchamp, Duchamp du signe, nouvelle édition, Paris, Flammarion, 1994, pp.
187-189.
[24] Ibid.
[25] Voir et comparer les différentes Notes recueillies posthumes in M. Duchamp, Notes, notes inédites
réunies et présentées par Paul Matisse, op. cit.
[26] De lequel l’aphorisme duchampien devenu
célèbre « Sont le regardeurs que font les tableaux » ; voir M. Duchamp,
« Marcel Duchamp, vite », entrevue avec Jean
Schuster, in Le
Surréalisme même, n. 2, Paris, printemps 1957.
[27] Cf. J.D. Russell, Marcel Duchamp’s Readymades: Walking on
Infrathin Ice, 2003 [consultable à l’adresse http://www.dada-companion.com/duchamp/archive/duchamp_walking_on_infrathin_ice.pdf ].
[28] À comparer les Notes Semblablité. Similarité ; Quand le fumée ; Séparation infra mince ; Séparation infra-mince ; La différence (dimensionnelle) entre ; Acheter ou prendre des tableaux recueillies posthumes in M. Duchamp, Notes, notes inédites réunies et
présentées par Paul Matisse, op. cit.
[29] Cité par J. Clair, Duchamp et la
photographie, Paris, Editions du Chène, 1977, pp. 96-98, un entretien de
Duchamp avec Denis de Rougemont du 6 Août 1945 où l’artiste précise
la notion d’inframince ; cf.
Note Quand
le fumée in M. Duchamp, Notes, op cit. [nos italiques].
[30] H. Obalk, « The Unfindable Readymade » (1996), in Tout-fait. The
Marcel Duchamp Studies Online Journal,
vol. 1, issue 2, Articles, may 2000 [consultable à l’adresse http://www.toutfait.com/issues/issue_2/Articles/obalk.html]. Dans la conclusion est citée la Note Séparation infra mince (in M.
Duchamp, Notes, op.cit.).
[31] En effet, Rosalind
Krauss voit en Giacometti le fondateur de ce nouveau paradigme que hautaine profondément les modèles de la
sculpture, en opérant un repli de l’œuvre dans l’espace fine alors occupée par le piédestal simple. Pour
les conséquences de cet important passage, cf. R. Krauss, « No More Play », in The
Originality of the Avant-Garde and Other Modernist Myths, Cambridge (MA), MIT Press, 1986, où on avertit déjà la conclusion kraussienne sur l'art
« célibataire », ou ce type d'art que de l'altérité, de l'informe,
du déclassement il émerge merci à un
procès de « évanescence
categoriale », qu'il n'est pas du tout imprécision ou indétermination de
définitions, mais plus précisément un évanescence qu'il implique le se briser de beaucoup de barrières (ou de
« catégories »), en donnant ainsi vie à cette art « célibataire »
qui, avec beaucoup d'avance, Marcel Duchamp avait acheminé au début du
siècle ; cf., en tel sens, R. Krauss, Bachelors, Cambridge (MA), MIT Press, 2000 et Y.-A. Bois, R. Krauss, L'Informe : Mode
d’emploi, Paris, Centre Georges Pompidou, 1996.
[32] Voir la Note Sorte de sous-titre. Retard en Verre, in M. Duchamp, Duchamp du signe, op. cit., p. 34.
[33] Cf. G. Bataille, voix
« Informe », in Documents,
Tome I, Paris, 1929, p. 382 ; cf. aussi « L’art primitif », in Documents, Tome II, n. 7, Paris, 1930,
pp. 389-397, maintenant en Œuvres
Complètes, Paris, Gallimard, 1970, pp. 247-254.
[34] Voir la Note Sorte de sous-titre. Retard en Verre, in M. Duchamp, Duchamp du signe, op. cit., p. 34.
[35] Du point de vue conceptuel bien différente
de celle-là rétracte dans L'origine du Monde (1866) de Gustav Courbet, initiateur, à
dite de Duchamp, de la peinture « rétinienne ».
[36] Voir la Note Avertissement. Étant donnés (dans l’obscurité), in M.
Duchamp, Duchamp du signe, op.
cit., p. 37.
[37] Ibid.
[38] Ibid.